Les histoires de Tina (même la mort n’a plus d’odeur)

Il était une fois, au Texas, John, un brave type qui bossait dur pour élever sa famille.

Il prenait son enbauche dans la salle de contrôle climatisée à 13H GMT.  S’installait dans son fauteuil ergonomique, ajustait son micro écouteurs puis se concentrait sur son écran tactile, empoignant d’une main son joystick tout en avalant quelques gorgées de café brûlant, échangeant quelques banalités avec ses collègues de bureau.

L’attente était longue, fastidieuse, nerveusement éprouvante, à scruter les mauvaises images, les milliers de pixels scintillants envoyés d’un drone à des milliers de kms de là.

Quand il identifiait quelque chose de suspect, il faisait remonter l’info suivant le protocole tout en pianotant sur sa console.

Quand enfin selon la procédure, l’ordre tombait dans son oreillette, il déverrouillait d’un clic la touche « delate » puis pressait sur le bouton rouge de sa manette et envoyait, tout en sirotant un diet coke, une de ces frappes chirurgicales qui foudroyait un ennemi déshumanisé qui n’entendrait jamais le bruit de sa propre mort, dans un pays virtuel que John ne situait même pas sur une carte géographique.  

D’ailleurs pour John l’ennemi ne mourrait pas, il se volatilisait soudain de l’écran, cliniquement éliminé.

On ne peut pas dire que ça l’émouvait particulièrement.

Pour sûr, pensait John, en termes d’hygiène mentale, la guerre numérique, le conflit par écran interposé et sa doctrine zéro mort (dans son camp) était un sacré progrès technologique, rapport au post trauma de l’ennemi saigné à mort, crevé dans le blanc de l’oeil.

Il arrivait certes après vérification, que le « terroriste » ou « insurgé » suivant les éléments de langage appropriés, s’avérait être un groupe d’enfants ramassant du bois, ou une famille célébrant une noce. C’était contrariant mais bon, on faisait un rapport qu’on classait dans un dossier « victimes collatérales » en étouffant l’affaire.

Aprés sa journée de stress et de labeur, John rentrait chez lui juste à temps pour embrasser ses gosses et leur raconter une histoire de Tina. Ensuite il supportait les Yankees à la télé, son équipe de football américain tout en éclusant une bière servie par Shirley son épouse entre deux réunions évangéliques.

Le bonheur stars and stripes quoi !

Parfois lui revenait à l’esprit que deux cutters avaient suffit pour effondrer les tours du 11 septembre. Alors mélancolique il repensait à cette phrase de John Millius, tirée d’Apocalypse Now qu’il avait vu 15 fois :

« J’adore l’odeur du napalm au petit matin « 

Et comme une certaine nostalgie, comme un manque soudain s’emparait de John…

tgb  

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

4 commentaires sur « Les histoires de Tina (même la mort n’a plus d’odeur) »

  1. Mouais …
    On dira ce qu’on voudra, le virtuel c’est pas pareil,
    faudrait retrouver l’analogique,
    avec de la vraie viande de Viet qui sent bon, et tout …

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