Antigone 2011 ou le fils du bédouin

Dans mille ans, on ne se souviendra ni de Bush, ni de Blair, ni évidemment du paltoquet vagal mais de la figure emblématique de Ben Laden oui.

Dans mille ans, si notre monde existe encore pure hypothèse d’école, on parlera peut-être encore de la mobylette d’Omar (sans bien se souvenir qu’il fût Mollah de son état) mais on se fichera sûrement du lieu de sépulture moustachue d’Aznar et il serait bien étonnant de retrouver fleurie de frais la tombe de l’obscur larbin Barroso.

En revanche, enterré ou pas, on colportera encore l’épopée du cavalier barbu et « barbare » qui osa défier l’empire, en son image d’Epinal, plutôt qu’en ce portrait désacralisé du vieil homme grisonnant se zappant lui-même à la télé comme un beauf avachi made in Pakistan.

On se souviendra encore comme pour le Samson biblique de ces deux colonnes présomptueuses effondrées sur les marchands du temple en mondiovision, sacrée performance.

L’histoire n’étant pas morale, se fichant bien de savoir qui du bien ou du mal, elle digèrera au fil du temps la version du vainqueur et comme pour Attila ou Gengis Khan finira par recracher en la mémoire populaire, le noyau romanesque et subjectif du « Héros ».

(Par exemple, si tu devais faire un film, tu choisirais de scénariser la vie d’Oussama ou celle de George Junior ?)

En ce sens, incarné ou pas, Ben Laden s’inscrit maintenant en pleine mythologie, avec ce rien de tragique qui sublime le récit et nourrit à la veillée, les histoires de justicier qui surgit dans la nuit au galop…

C’est pourtant bien contre le risque identifié de cette héroïsation, que le maître de l’empire Obama, autre super-héros romantique, à condition toutefois qu’il veuille bien finir assassiné, a décidé de dématérialiser le corps de l’ennemi, de le déterritorialiser, suivant naturellement les préceptes et traditions de l’islam vu par Coca cola, à savoir…

A l l a h  u n e

A l l a h d e u x

A l l a h t r o i s

e t p l o u f !!!

d’effacer les traces.

Cette illusoire tentative d’éviter tout lieu d’adoration, tout point de fixation au pèlerinage d’une bonne moitié de la population de la planète n’empêchera rien du tout.

Les ados révoltés d’Orient, transgresseront d’autant le tabou du totem en arborant un tee-shirt à l’effigie d’Oussama comme à l’effigie du Che en Occident et faute de lieu de culte le fantasmeront d’autant en poster géant.

Ce refus calculé d’ensevelir le corps nous renvoie évidemment au mythe d’Antigone, au théâtre de Sophocle ou d’ Anouilh.

De ces deux logiques, de ces deux justices, de ces deux raisons pathologiques qui s’affrontent, de ces deux ordres qui se contestent assuré que le désordre c’est forcément l’autre, chacun en fait un devoir.

C’est de ce seul antagonisme irréconciliable, de la raison morale ou de la raison d’état, que naît la tragédie.

« Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. » Antigone – Jean Anouilh.

Il y aura ainsi forcément une fille de bédouin, un jour, quelque part, pour se révolter, pour demander des comptes, pour exiger le rite, pour faire payer à l’hyper « Créon » super héros de l’hyper empire d’avoir « fait mourir les vivantes et garder les morts chez les vivants » faute de sépulture.

En l’occurrence pour l’instant la fille du bédouin est un fils : Omar Ben Oussama Ben Laden autrement dit Omar fils d’Oussama fils de Laden, porte parole officiel de la nombreuse descendance filiale.

Si la politique est l’anecdote plus ou moins sale de l’Histoire, l’histoire dans l’Histoire, la vie du héros physique étant terminée, la légende du Héros mystique ne fait que commencer.

tgb

merci à emcee, Pescade

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

15 commentaires sur « Antigone 2011 ou le fils du bédouin »

  1. Je ne te surprendrai pas en te disant que l’amalgame entre ben laden et le Che me semble aussi formaliste et abusif que celui qui te conduit à assimiler Anouilh et Sophocle … pas franchement la même chose .
    Et pour aggraver mon cas , encore une petite couche : la tradition antique ( des grecs ) donnait également tort à Antigone et à Créon , au coeur symbolique d’une contradiction anthropologique fondamentale, dont on ne peut sortir que par la dialectique , c’est à à dire en produisant le moyen terme qui dépasse les deux positions antagoniques ( et non en donnant « raison » à l’une ou à l’autre ) , cf Pagani …
    à bien des égards Antigone atteste et manifeste dans la tragédie ( « invention » du classicisme athénien en même temps que l’histoire, la géométrie et la philosophie) « l’invention de la dialectique », fondatrice de la pensée philosophique issue de « l’agon » des cités et de la démocratie idéale. La symbolique en renvoie dos à dos Antigone et Créon également coupables de l’hubris et symétriquement oublieux de « l’être social » .

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  2. Oui, bon, moi, je vais rester au ras des pâquerettes 😉
    J’ai beaucoup aimé Allah une … Allah deux … Même que je regrette de ne pas l’avoir trouvé 😀
    Merci pour la pub. O/

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  3. @strauss cannes urbain – ben oui on est bien d’accord le che ou laden pas mêmes méthodes pas mêmes objectifs pas même époque mais même symbole de guerrilla anti-ricaine – sinon oui la tradition antique donne tort aux 2 – de leurs deux « vérités » inconciliables et problématiques nait donc LA tragédie.
    @emcee – j’en suis bien content aussi – des fois on lit un truc chez les autres et on se dit mince comment j’ai fait pour passer à côté tant ça parait évident 🙂

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  4. La tragédie est née , comme la dialectique et le reste de la pensée grecque, de la praxis grecque,
    de « l’agon » , de la prise en charge collective , dans la cité, de l’être social et du conflit qu’il porte (et qui le porte ) . Ce ne sont pas des vérités qui s’affrontent mais des représentations ( de classe ) , des idéologies (au sens de Marx).
    La vérité c’est justement ce qui dépasse le narcissisme chimérique de ces représentations : le troisième terme ( cf. pagani ) qui résoud la contradiction.
    Ce logos c’est ce qu’exprime la tragédie depuis son origine, car ce conflit ( de l’état de nature à l’être social ) est proprement « tragique » , comme nous savons le nommer depuis lors .

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  5. « l’artiste tragique n’est pas un pessimiste, il dit oui à tout ce qui est terrible et problématique il est dyonisien » Nietzsche:-))
    Mais je vais aller visionner Pagani quand même

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  6. Ben moi , je n’aime pas DSK , mais je honnie encore plus la manière américaine , si ça avait été un homme politique américain en France, il nous aurait envoyé un commando pour le libérer et les américains auraient encore cassés nos bouteilles de vin , il faut voir comment la France et les français ferment leur gueule jusqu’au sommet de l’Etat pour comprendre la soumission à la toute puissance US

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  7. bah pour une fois qu’un oligarque est traité comme un type ordinaire – je n’aime pas hurler avec les loups mais de là à nous sortir quasi l’affaire Dreyfus

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  8. Eh bien, j’aimerais que tous ceux qui n’aiment pas le système judiciaire américain aujourd’hui se soient répandus sur tous les forums pour dénoncer avec autant de virulence l’incarcération de Bradley Manning, enfermé, lui, pour raison politique dans une cellule minuscule, et qu’on prive de sommeil et de vêtements la nuit depuis des mois.
    J’aurais aimé qu’ils s’élèvent contre la torture institutionnalisée à Guantanamo et ailleurs dans les prisons US.
    Il eût été séant de protester contre ceux qui sont enfermés à Guantanamo mais qui, soit sont innocents, soit ne peuvent pas être jugés parce que leurs aveux ont été obtenus par la torture.
    Il n’aurait pas été inutile que la France entière se révolte contre la peine de mort toujours appliquée aux US, sachant que cela n’a pas d’effet dissuasif et que des innocents sont régulièrement assassinés.
    Et puis, il y a tous ces anciens Black Panthers, Leonard Peltier et d’autres, qui sont en prison depuis des décennies et qu’on laisse croupir dans des QHS.
    Et puis, en France, il y a les anciens d »AD à qui on fait subir le même sort, à qui on laisse entrevoir la possibilité de sortir, mais pour qui on repousse toujours plus l’échéance.
    Et puis, il y a les prisons où les détenus sont dans des conditions épouvantables, et pour lesquelles la France a été montrée plusieurs fois du doigt par l’UE. Mais où rien n’est fait (peut-être que si DSK se sort de cette mauvaise passe deviendra-t-il un ardent défenseur de la dignité des prisonniers, qui sait?)
    A ce jour, depuis janvier, 33 personnes se sont suicidées en prison.
    Et puisqu’on est dans les suicides, des milliers d’agriculteurs se sont suicidés en Inde en dix ans. La faute aux grandes compagnies et au Fonds monétaire international (FMI) http://www.delhiplanet.fr/2011/03/28/la-cause-des-paysans-indiens-defendue-a-la-haye/. Eh, oui, Germaine, y en a pour tout le monde, si c’est pas une misère.
    Alors, j’ai bien peur qu’il ne me reste pas beaucoup de larmes pour pleurer sur le sort d’un type soupçonné d’agression sexuelle et de tentative de viol, et qui a été incarcéré de ce fait, et pas parce qu’il a été enlevé arbitrairement loin de chez lui pour être jeté dans un camp à Guantanamo,
    sans avoir droit à un avocat.
    Mais chacun ses chagrins et ses indignations.

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  9. C’est ça, faisons de DSK une victime d’un complot ! Et faisons comme si cela ne s’était pas produit auparavant, alors que tout le monde dans son entourage était au courant de ses crimes et se taisait.

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