
Je viens de finir le livre de Florence Aubenas « Le quai de Ouistreham ».
C’est le genre de bouquin qui vous laisse orphelin. Comme en manque.
C’est une enquête et ça se lit comme un roman.
Avec un vrai sujet, de vrais personnages et tout un climax.
Bien loin des inanités nombrilistes de sous auteurs nous contant par le menu leur aérophagie existentielle.
Florence Aubenas : ancienne de libé centre gauche passée au nouvel obs centre droit ; dans le paysage journalistique dévasté : d’accord personne n’est parfait(e)
N’empêche, Florence Aubenas, des mois de captivité en Irak, qui nous épargna par décence ou pudeur, la capitalisation littéraire et financière de sa terrible expérience, à qui l’on doit en grande partie la réhabilitation des outragés d’Outreau, a l’inconvenance, dans cet univers narcissiquement onaniste moi je, de s’intéresser aux autres et aux sans grades : déviation perverse quasi insensée s’il en est.
Donc pour Aubenas : six mois à récurer à genoux, les chiottes du capitalisme sordide, dans la précarité, l’humiliation et la misère ordinaire, pour nous offrir au bout du compte, du journalisme debout tandis que ses confrères assis, pratiquent entre deux cocktails, un confortable journalisme couché : chapeau bas.
Car faut-il le rappeler, deux reporters France 3, otages en Afghanistan et tentant, quelle incongruité, de faire leur métier d’informer, coûtent bien plus chers selon nos délicates autorités, qu’un journaliste embedded ou qu’un stagiaire au rabais, recopiant avec fautes d’orthographes itou, les dépêches AFP.
Oui, dix journalistes comme Aubenas en France et le pays médiatique en serait radicalement transformé.
Dans la misère quotidienne des précaires en voie de paupérisation donc, à éponger la merde du sol au plafond, Aubenas nous fait exister ses damnés camarades du balai brosse, acculturés, dépolitisés, tout à l’immédiate survie, dans la machine infernale statistique et truqueuse du pôle emploi, dans le mercenariat hideux du nettoyage par le vide, jusqu’à nous rendre visible enfin cette cohorte d’ombres truculentes pourtant, autrement plus talentueuse et instructive que quelque vulgaire TV réalité dont elle est (cette cohorte) paradoxalement grande consommatrice.
Six mois oui, à courber l’échine, la peur au ventre, dans la résignation et la soumission lambda face à l’esclavagisme moderne libre et non faussé.
Mieux qu’une étude sociale, plus évocateur qu’une thèse fouillée, le récit d’Aubenas drôle et acide, appréhende férocement et l’air de rien, la logique infâme d’un monde cupide et sans pitié. Et pour peu que comme moi, vous ayez vécu un peu à Caen, s’ajoute la connivence intime des lieux et des gens.
Admirable Florence, qui, cerise sur le gâteau, explose en vente et au passage, le Bernard Henri Levyde, tout à sa suffisance autocentrée.
Comme la revanche rassérénée, du savoir faire sur le faire savoir.
tgb
Juste passée en passant et je dois dire qu’il est indispensable de s’arrêter ici. Florence Aubenas s’intéresse au réel. Elle écrit la dignité des vies humiliées par notre système inique.
Bon, je vais changer de sujet pour mon prochain billet, nous étions une fois de plus sur la même jolie onde et c’est tellement bien dit ;-))
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Oui, c’est joliment dit. Tu m’as donné grande envie de lire son bouquin, quand je serais autrement bêtement passé à côté (à cause de cette overdose de Florence Aubenas qui nous fut infligée il y a quelques années).
Ça me fait penser à un bouquin extraordinaire que tu dois connaître : « Tête de turc » de Gunter Wallraff, publié en 1986 . Ce journaliste allemand s’était fait passer pendant deux ans pour un turc immigré ; le résultat dépote salement.
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Je suis d’accord avec tout ce que tu dis, ami TGB, mais je ne peux m’empêcher de penser que pour beaucoup de gens (dont peut être moi aussi), la précarité est au quotidien et la noyade à portée de rivage.
Parfois je m’amuse des sentiments que provoque la découverte de la pauvreté par certains à travers un bouquin…
Mais je comprends qu’il vaille mieux ce regard étonné, compatissant et naïf qu’un cynisme con, indifférent et comminatoire de gros bourges beaufs.
Cela dit, j’ai été fort heureux du couronnement du film « Le prophète » qui j’espère est le précurseur d’une peinture sociale de notre époque, un peu comme les films d’avant guerre nous dépeignait relativement bien la réalité sociale d’alors. Plutôt que les films français débiles d’aujourd’hui.
Va t-on vers une période se création d’oeuvres artistiques réalistes comme le cinéma italien des années 60-70 ? Ce serait chouette.
Vive le livre d’Aubenas.
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« dépeignaient » fallait il écrire, évidemment…
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@agathe – que chacun le dise avec ses propres mots n’est pas inutile on peut le dire le redire et le redire encore
@JBB – tête de turc oui je connais mais pas lu – à combler à l’occase – oui concert de louanges à Aubenas ça peut dissuader mais cette unanimité pour une fois est absolument justifiée
@cuicui je suis précaire aussi depuis 20 ans sous un statut de vacataire mais c’est un choix perso et quand je bosse au moins suis je bien payé ce qui est loin d’être le cas de la plupart des « variables d’ajustement’
d’une certaine manière savoir gérer la précarité est aujourd’hui une arme car trés bientôt tout le monde le sera
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Puisse cette dernière remarque fort pertinente inspirer voire remotiver « celles et ceux » contraints à cette forme d’existence. Et dieu sait qu’on est plus nombreux qu’il n’y paraît… La nature reprend ses droits, fallait s’y attendre.
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« chère variable d’ajustement à faible taux d’employabilité » bienvenue au club 🙂
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