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L’arbre de Château Rouge.
Emblème modeste et résistante du blog Rue-Affre.
Le seul à avoir son portrait craché sur notre page d’accueil
Planté seul au milieu de l’intersection de la rue Doudeauville et de la rue des Poissonniers.
Encore jeune. Chétif. Courageux.
Faisant ce qu’il peut pour marquer les saisons.
L’arbre de château rouge
Ses feuilles dorées en automne
Sa guirlande de noël minable accrochée dans ses branches jusqu’en été.
Son terre plein central
Sa fragile grille de protection.
Caution écologique municipale accordée aux pauvres.
L’unique espace vert du quartier. Tant le végétal est aujourd’hui un luxe.
Comme un arbre dans la ville…(Maxime Leforestier)
L’arbre de Château Rouge
Un Ginkbo biloba.
Espèce originaire de Chine. Implanté en Europe en 1765.
Pouvant vivre jusqu’à 2500 ans
Véritable fossile vivant, apparu il y a 380 000 000 d’années.
(quand nous du genre Homo allons gentiment sur nos trois millions d’années, quand nous Sapiens atteignons à peine nos 200 000 ans)
Qui a survécu aux dinosaures. Qui a survécu à Hiroshima.
Dur à la pollution
Dur aux co2
Humble participation à l’oxygénation de Paris.
(ils ont mis un compteur à l’eau, à l’énergie, je savais qu’ils mettraient un compteur à l’air que l’on respire. Je me demandais juste comment ils allaient marchandiser l’oxygène. Ils ont trouvé. Les accords de KYOTO – Acheter des droits de polluer en fonction des rejets nocifs de chaque état – chapeau !!!)
J’aime les arbres. C’est peut-être mon seul point commun avec Mitterrand.
J’aime les arbres au-delà du raisonnable.
J’en plante un chaque année.
A la Sainte Catherine – Là où tout arbre prend racine.
J’aime l’idée qu’il faut des dizaines d’années pour les voir grandir
Et cinq minutes pour les détruire.
Et résister à cette pulsion.
J’aime ce défi à notre rage de produire. De consommer vite, de ne plus prendre le temps de rien.
Le temps, dernier domaine à résister au profit. A l’industrialisation. Au code barre.
L’arbre de Château-Rouge
Il n’y en avait qu’un
C’était encore trop.
On vient de l’abattre pour travaux de voieries.
Je suis comme Idéfix. Un arbre par terre. Je hurle à la mort.
tgb
Mon cadeau de noël :
Cahier des charges
Supposez que j’aille frapper à la porte d’un architecte fameux, Portzamparc, Celnik, Nouvel, Ebersolt ou Chemetov : le gratin de la profession, dans un cabinet ultra-moderne où, entre plantes vertes et lumières tamisées, travaillent des dizaines de personnes. Imaginez ce genre de dialogue :
« Bonjour, maître. Si je vous demande de me construire une tour de 60 mètres de haut, cela vous paraît-il possible ?
– bien entendu, je sais faire cela, j’en ai fait des centaines dans les années 1960 et, entre nous, ce n’est pas bien malin à construire ! mais vous savez, les tours de quinze étages, c’est un peu passé de mode ; on me dit que c’est désagréable à habiter et que cela génère l’insécurité. Souhaitez-vous que je travaille particulièrement la question de la fiabilité des ascenseurs ?
– Maître, vous n’y êtes pas, il ne s’agit pas d’une tour d’habitation. D’ailleurs elle n’est pas creuse, mais pleine et la surface au sol doit être circulaire et d’un diamètre de 2 mètres
– Holà ! comme vous y allez…voyons, laissez moi réfléchir…60 mètres de haut et 2 mètres de diamètres basal…votre tour, va ressembler davantage à une antenne des télécoms qu’à un vrai immeuble !
– Pas du tout, j’ai omis de vous dire, que la partie haute – disons, les 20 mètres supérieurs – doit porter une vaste surface, souple, finement découpée mais solidement fixée et se montant à un total d’environ 15 hectares pour un diamètre d’environ 30 mètres. Puis-je, en outre, vous demander de peindre tout cela en vert pomme ? «
A ce moment précis, j’ai senti que le dialogue basculait. C’est le maître lui-même qui devint vert.
– Quoi, hurle-t’il, vous imaginez un peu la prise au vent que va occasionner une telle superstructure ? Il va falloir que je creuse des fondations à plus de 15 mètres de profondeur.
– J’en suis désolé, maître, mais la profondeur des fondations ne doit pas excéder 3 mètres. J’ajoute que j’ai l’intention d’établir ma tour sur un sol meuble et très humide, dans un pays à climat équatorial où il tombe 3 mètres d’eau par an.
– Quoi ? vous êtes fou ! je ne la sens plus du tout, votre construction. Vous imaginez les corrosions, avec une pluviométrie pareille ? Je vais devoir faire appel à des matériaux ultra-sophistiqués, genre composite de titane et de plastique enrichi au tungstène, donc excessivement coûteux. Cela va vous coûter la peau des fesses, vous y avez pensé à ça ?
– Bien sûr que j’y ai pensé. Hélas pour vous maître, le matériau doit être banal, léger, capable de flotter sur l’eau et d’un prix réellement attractif, quelque chose comme 500 euros le mètre cube au maximum, et beaucoup moins si possible.
– Un tel édifice n’existe pas et n’existera jamais, rugit le maître. Assez ! Vous me faites perdre mon temps ! Allez-vous-en… »-
Je suis parti ; ce n’était pas la peine de le pousser à bout. D’autant plus que mon cahier des charges n’était pas fini. Et que je ne lui avais pas encore avoué le plus grave : si par malheur le vent abîmait ses superstructures, ma tour devait être équipée pour s’auto-réparer dans un délai de quelques mois. De plus avec le temps, je voulais qu’elle soit capable de s’entourer de petites tours, identiques à elle-même, et poussant spontanément.
La morale de cette histoire, c’est que l’être humain, en dépit de toutes les prouesses technologiques dont il est si fier, est toujours incapable, en ce début de troisième millénaire, de construire un grand arbre ; un petit aussi d’ailleurs. Pour l’instant, tout ce qu’il sait faire, c’est de l’abattre, et ça il ne s’en prive pas.
L’arbre est beaucoup plus impressionnant qu’on ne le croit ; il est infiniment mêlé à notre vie, à notre histoire, à notre vision du monde et même, je pense, à notre origine en tant qu’espèce. J’ai voulu montrer que l’arbre, pour nous, s’étend plus loin que l’extrémité de ses branches et s’enfonce plus profond que ses racines.
Francis Hallé – Plaidoyer pour l’arbre – Actes Sud