Etaix et textes

J’avais toujours voulu monter du Pierre Etaix sur scène. Une idée fixe. Je ne sais pas d’où ça me venait. Je connaissais à peine le bonhomme, encore moins son oeuvre. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte (c’était un temps d’il  y’a longtemps) que Pierre Etaix n’avait quasiment rien écrit.

Juste des bouts de poèmes marrants, des bidouillages graphiques, des calligrammes assez fendards, des virgules grinçantes et poétiques.  

Comme à cette époque, j’animais un atelier théâtre à l’école nationale de commerce (ENC) j’avais finalement conçu avec mes étudiants, un montage  à partir de ces bouts de textes tirés de « Dactylographisme »  et du « Carton à Chapeaux ». Des bouquins quasiment introuvables.  J’avais été quelque part en banlieue, jusqu’à chez Gilbert Salachas, un pote d’Etaix devenu éditeur rien que pour le publier lui.

Le spectacle s’appelait « clowns » C’était profondément léger ou légèrement profond et plutôt réussi.

On avait invité Pierre Etaix et Annie Fratellini sans trop y croire et à la première représentation  – au palais des glaces – du coté du Faubourg du temple, ils  étaient là, discrètement ensemble, même si ça faisait des années qu’ils n’étaient plus ensemble. A l’issue du spectacle, ils avaient reçu une ovation du public. Etaix, déjà un peu aux oubliettes, en avait été assez ému et moi donc.

J’ai encore la vidéo de ce moment-là quelque part…

Il nous avait alors proposé de jouer le spectacle sous son chapiteau, dans le bois de Boulogne où il continuait à faire le clown avec ses élèves de l’école nationale du cirque ( ENC) comme un clin d’œil. C’était un beau cadeau. On avait commencé à prendre nos marques, à repenser le spectacle en circulaire, rapport à la piste. On s’est vu deux fois, on a parlé un peu, on s’est téléphoné un peu aussi on s’est écrit très peu et puis les choses se sont bousculées, des événements ont bouleversés ma vie, mes étudiants se sont égayés dans la nature et le projet n’a jamais abouti.

Je n’ai plus jamais revu Etaix ; sauf dans ses films – le soupirant – yoyo – tant qu’on a la santé – Manquent à ma culture de cinéphile  – le grand amour – et – pays de cocagne – que je ne suis pas prêt de visionner,  vu que le cinéma d’Etaix est toujours invisible rapport à un producteur indélicat.

Comme Etaix ne peut nous faire profiter de son talent sur grand écran, il remonte sur scène, en famille, à 81 ans, sans la moindre subvention  et presque dans l’anonymat du côté de Bordeaux dans un nouveau spectacle musical :

MIOUZIK PAPILLON

On se demande bien comment l’ami de Jerry Lewis, le copain de Jean-Claude Carrière, le Gagman de jacques Tati, notre Buster Keaton à nous, notre prince du burlesque, notre cinglé du music hall, peut se retrouver à ce point dans le confidentiel et la mouise et ce malgré tous les hommages…

Il y a quelque chose de noble et de douloureux, un peu comme Chaplin dans les feux de la rampe, à voir ce vieux clown génial sur les planches et dans la dèche.

Pour ce que j’en sais et ce que j’en ai vu, Etaix est un immense petit monsieur au sourire charmant, à la voix douce, profondément humain et généreux. Un petit homme grand ( sans talonnettes), et simplement gentil.  Non pas de cette gentillesse un peu conne un peu mièvre mais de cette gentillesse féroce qui soulève des montagnes et rend le monde plus fraternel et intelligent .

Alors que tant de daube dégouline de partout avec son comique abêtissant et vulgos, l’humour sensible et pudique d’un Etaix trop discret, reste hélas confiné. Dans ce monde de fric et de frime, avoir la grâce pudique, ça ne pardonne pas. 

Il va de soi que Pierre Etaix sera plus grand mort que vivant.
En attendant il est vivant. Autant l’applaudir  maintenant.

tgb

Share|






Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

15 commentaires sur « Etaix et textes »

  1. Très joli témoignage, merci.
    Ça vaudrait le coup que tu la retrouves et que tu la numérises cette vidéo, non ? En tout cas, j’aimerais bien voir ça (c’est la magie du oueb 2.0 : on se parle depuis longtemps et je ne savais même pas que tu étais passionné de théâtre)

    J’aime

  2. bah non pas passionné de théâtre mais de scène oui en tout cas je le fus mais ça a toujours été l’écrit avant tout même si aujourd’hui c’est bizarrement l’oral qui me fait bouffer

    J’aime

  3. ben vu sa liste de soutien qui va de Godard à David Lynch tout en passant par Woody Allen on se demande bien…pas des chèques en tout cas
    j’ai un lectorat d’une sensibilité exquise quand même

    J’aime

  4. Beau coup de chapeau, avec la discrétion lumineuse qui convient, au clown que nous sommes en effet très nombreux à aimer, et à saluer – pas souvent si bien que vous le faites – avec nos pâles sourires répondant au sien.
    Bien sûr que les poètes tombent et sont déchiquetés sous les crocs à finance des super-héros du vrai monde ! C’est pas triste, s’est rigolo !

    J’aime

  5. En effet, très émouvant hommage à un grand homme émouvant.
    Aujourd’hui, ce genre de personnage n’intéresse plus grand monde, hélas: le vulgaire, le tape-à-l’œil et l’immédiatement rentable sont notre enfer quotidien.
    Quant à la « propriété intellectuelle », il est clair qu’elle ne bénéficie pas aux créateurs, quoi qu’en disent les pignoufs dont la daube se vend bien, mais aux marchands, encore et toujours.
    Que fait donc le manchot de la culture qui prétend défendre les artistes (et occasionnellement les boxeurs)? Que font ces « artistes » qui prétendent défendre la « création » et qui n’ont que mépris pour ceux qui sont jetés aux oubliettes par ceux-là même qu’ils soutiennent éhontément?
    Tant de nullité et de cynisme sont confondants.

    J’aime

  6. @meriem – patate à l’eau tout de même 🙂
    @emcee – tout juste oui – plus dans le clonage que dans le clownage – l’argent va aux riches c’est pas nouveau – les droits d’auteur tout pareil (vu qu’en plus ses films ne sont pas diffusés…) le système de répartition profite aux pignoufs daubés

    J’aime

  7. Le clown d’aujourd’hui utilise la télé réalité pour faire des tours de magie et exaucer les vœux du syndicaliste en gratifiant son entreprise d’ 1 millions d’euros ou en trouvant un emploi à une chômeuse diplômée…etc et il s’appelle : Le Président de la République.
    L’authenticité, la qualité d’un Pierre Etaix n’a plus sa place dans la grosse machinerie à rapporter des voix aux fins que nous connaissons …
    Très joli hommage que voilà. Merci tgb.

    J’aime

Commentaires fermés