Fier d’avoir honte

La connerie nationaliste n’ayant pas de frontière, le chauvinisme étant universel, je suis assez fier, pour une fois, que la France ait honte de se qualifier en se disqualifiant. En ce sens le peuple français, sans doute pas plus vertueux qu’un autre, exprime pourtant une de ses valeurs qu’on croyait à jamais dissoute dans la médiocrité sarkoziste – une forme de romantisme élégant : le goût du panache.

A savoir : mieux vaut perdre dans la dignité, que de gagner dans la triche. (Je ne suis pas certain qu’il en soit de même en Italie ou chez les Anglosaxons)

Il reste donc, dans notre mémoire collective, ce vieux sens chevaleresque de la beauté du geste et ce sens de l’honneur que la sous culture vulgaire et pseudo pragmatique (culture du résultat, performance, compétitivité…)  qu’on nous inflige depuis deux ans n’a visiblement pas entamée.

Et peut être même, pouvons nous y voir une forme de résistance et le rejet de cette politique « racaille » et opportuniste – pas vu pas pris – prête à tout, à toutes les bassesses, à tous les vices, à toutes les instrumentalisations, pour arriver à ses fins.

Ben non, pour nous encore, ici et maintenant, la fin ne justifie pas tous les moyens. Il y a un prix que nous n’acceptons pas de payer – le prix du déshonneur. L’essentiel encore, n’est pas seulement d’atteindre les objectifs mais d’y mettre la manière. En cela le Bernartapisme ne nous a pas tant contaminé que ça. Et c’est méchamment réconfortant.

Si nous avons appris à gagner avec Zidane, à passer l’éponge sur un coup de boule théâtral, par gratitude et passion indulgente, si nous aurions pu fermer les yeux sur un fait de jeu finalement assez commun, la grosse mimine d’un Thierry Henry plus filou que truqueur, nous avons décidément la nausée devant une équipe  qui ne joue pas mal mais qui ne joue pas du tout, une équipe sans âme, sans envie, sans grâce, et devant l’obscénité surtout d’un entraîneur pitoyable, avec prime de 800 000 euros gagnée à la sueur de son incompétence, incapable de la moindre décence et de la moindre empathie.

Non on n’a rien contre un petit coup de pouce du destin, contre un chouïa de bol, contre un réflexe instinctif, coup de boule ou coup de main, encore faut il qu’on en rajoute pas dans la fanfaronnade et qu’on se la joue profil bas.

Ou alors vergogna. 

Il est curieux finalement que sous ce triste sarkozisme, chaque résultat soit si ambigu, toujours entaché de quelque chose de pourri, de suspect, de pas net, que chaque action soit un peu sale sur les bords, chaque décision soit un peu tirée par les cheveux, voire par les poils du cul merdeux, que chaque discours frise l’escroquerie, l’arnaque ou la tartufferie, que chaque image soit sujette à caution. Bref il est curieux qu’on nous impose aujourd’hui d’aimer cette petite France là, menteuse, tricheuse, foireuse, un peu moche, un peu nauséabonde, un peu minable, un peu moisie. Alors que d’évidence on en aime une autre.

Flamberge au vent.

Oui il y a plus d’honneur chez le dernier pilier de bistrot, le dernier supporter abruti que chez le premier des politiques, le premier des présidents de fédération, le premier des entraîneurs bidons. Oui ici on préférera toujours le dandy de grand chemin détournant un fourgon blindé sans armes et sans verser une goutte de sang plutôt qu’un banquier plié dans la soie et dans son parachute doré .

Il y a toujours en nous quelque chose de Mandrin, toujours en nous un vieux fond anar, toujours en nous un vieux fond de docteur Justice, qui nous fait admirer un héros, perdant peut-être mais avec classe, plutôt qu’un petit voyou de Neuilly, gagnant peut-être mais avec mépris.

Et, encore une fois le manque d’exemplarité de notre oligarchie, systématiquement à côté de la plaque, renforce ce divorce avec le peuple de France. Oui, ce malaise fouteux est emblématique du malaise profond en ce pays qui ne se reconnaît pas. Ni dans le miroir qu’on lui tend, ni dans ces élites qu’on nous vend. Ce malaise est d’évidence le signe avant-coureur d’un hiatus définitif. (et dangereux)

Tant pis pour les Irlandais, volés, violés, floués, spoliés. On le fût aussi, on le sera encore. Ce n’est pas plus grave que ça. Tant pis pour ces Irlandais donc, dignes et respectables ; on ne rejouera pas le match. Ce n’est pas comme pour le referendum.

Dans le foot au moins on est cohérent, quelque soit le résultat, estimable ou pas on applique la règle et on valide le score.

La France ira donc en Afrique du sud sur un hold-up. Ne lui reste plus alors qu’à être héroïque ou à disparaître sous les quolibets.

En tout cas aujourd’hui avec des millions de français, je suis fier d’avoir honte.

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

21 commentaires sur « Fier d’avoir honte »

  1. Je partage ce gout du panache et du « plutot perdre avec élégance que gagner en trichant « , et ça fait de moi juste un supporter et un footeux normal, lambda, standard.
    J’en ais depuis 6 ans et l’excellence en technicité sur un terrain c’est absolument jouissif, c’est ce qui fait que gagner sur une main j’ai envie de gerber à l’idée que ce soit possible.
    Je gerbe cette équipe, cette mentalité, ces vieux cons friqués qui dirigent le foot français.
    D’autre part pour les avoir lus ailleurs, je gerbe aussi ceux qui profitent pour traiter le foot de sport de cons.
    Le foot si on le pratique en amateur et avec plaisir, c’est un sacré foutu sport co génial. Les feintes, les dribbles, les gestes inédits, chercher l’équerre, tenter une panenca, une zizou ( feinte en pleine course, balle au pied, sans toucher le ballon, un peu comme Pelé mais dans un mouchoir, etc etc ).
    J’ai meme pas honte, j’ai juste envie de gerber.

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  2. Fière d’avoir honte (un peu) mais j’aurai préféré que les 36 % restants descendent dans la rue hurler leur honte sur certaines dispositions, lois .. etc. Sinon, ton billet est excellent, je pense comme toi mais l’honneur a des priorités au pays des droits de l’homme.

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  3. @ fran – merci pour le témoignage – c’est vrai que c’est facile de traiter les joueurs de foot de cons et c’est vrai que j’ai plein de bons souvenirs sympas de sports co (plutôt hand ou rugby pour moi)
    @ agathe- tu as raison mais on prend ce que l’on peut
    les nouvelles générations ne sont pas politisées mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elle n’ont pas de valeurs et que ça ne peut pas ressurgir à telle ou telle occasion – a l’heure de cette foutue identité nationale – ce qui se passe ici est trés révélateur et assez réjouissant je trouve – y’a pas de mal à espérer parfois

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  4. Et pourtant , on nous en a assez fait bouffer du blak-blanc-beur le métissage invincible (tu parles ) . Oui c’est le reflex patriotique des Français qui semble se reveiller et c’est très bien et normal. A force de nous dénigrer , nous trainer dans la boue de vouloir modifier l’histoire de notre belle nation , anciens et dirigeants actuels réunis , il y a le juste retour de baton et je souhaite vivement que cette réaction ne soit pas ephémère que cela aille encore plus loin…on ne remplace pas l’honneur par la médiocrité……

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  5. @seinpol
    Pourquoi il y en toujours pour parler ethnie.
    même quand on parle football.
    Pour ceux qui ont un ressenti, une haine intérieure, qu’ils se déchainent avec des simpatisants nazis.
    Aller au bout de ses convictions leur ouvrira peut être les yeux a ces…..sois disant extrémistes.
    Voilà, celà dit, vivement la vidéo dans le foot.
    Seul les parieurs et leurs millions sont les responsables du fait que la justice soit maintenue en dehors des terrains de foot.
    Les autres ne font que s’adapter.
    @marc
    ce n’est pas « primaire » que de pointer du doigt un homme de communication qui se ridiculise dans le monde politique.
    Il faut parfois accepter ses erreurs, c’est primordial d’oublier cette fierté qui nous enlève notre objectivité.
    celà dit merci titi.

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  6. « Crédulité. Plus difficile à dissuader qu’à persuader, et plus facile à tromper qu’à détromper. »
    (Joseph Joubert / 1754-1824 / Carnets)

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  7. Et Vous, Cher Ami qui critiquez allègrement, avez-vous des solutions pour faire de la France un Eden ?
    A vous lire….
    Cordialement,

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  8. Oui, drôle d’histoire! l’équipe de France à l’image de la France d’en haut: on prend l’oseille et c’est ça qui compte.
    Moi, j’ai arrêté complètement le foot (de le regarder, s’entend 😉 après 98. Quand j’ai vu cette brusque orgie de fric, ces fêtes indécentes à St Tropez et toussa. Et puis cette France « black, blanc, beur » hypocritement célébrée par les médias et les zélites (on a bien vu comment le racisme est revenu au galop)
    Bon, je n’étais pas fanatique, non plus (du foot).
    « Anti-sarkozisme primaire »: j’ai remarqué que c’était la dernière insulte en vogue des sarkozistes (comme quoi, ils ont l’argument bien senti chevillé au corps).
    Il y a eu « bobo »et « bisounours », également. On constate qu’ils n’ont pas encore bien avancé dans le dictionnaire, mais ils font des efforts louables. Reconnaissons-le.

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  9. @ peuplu jean – esoterisme qui m’échappe
    @ claude – merci mais je ne postule pas
    @ marc – déjà si on peut éviter que ça devienne un enfer
    @ emcee – c’est vrai que deux pétitions de principe pour eux c’est déjà un bel effort intellectuel

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  10. Ça a beau être une histoire de foot (autant dire que, d’ordinaire, je m’en carre l’oignon…), j’aime bien le ton optimiste de ton billet. Je suis d’accord : messieurs les Irlandais, (re)tirez les premiers, on en sortira grandis (ou : pas pires, au moins).

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