Génération spontanée

Vacances de février.

Comme un avant-goût de printemps.

Je traîne et rêvasse et fume ma clope du côté des jardins d’Eole. Cet espace vert récemment aménagé à cheval entre les 18 et 19éme arrondissement de Paris juste en lisière de la voie ferrée et d’un vaste no man’s land en pleine restructuration.

Tous les mômes du quartier, les Doinel, les Gavroche, les poulbots, tous les gamins de Paris, pas partis aux sports d’hiver, autant dire la plupart, par centaines, par milliers peut-être, s’égaillent comme des volées de moineaux dans les espaces de jeux.

Leurs pistes noires et leurs pistes bleues.

Ça crie, ça hurle, ça braille et ça s’entasse sur les tourniquets

Ça court, ça tombe, ça chiale dans la pagaille ensoleillée

Ça se fritte et ça se frotte, ça se chamaille à chaque tour de balançoire

C’est la pépinière de Paname, la couveuse du nouveau siècle, et ça shoote par ici et ça marque un panier par là en s’étreignant par grappes comme en finale de coupe du monde.

Ils ont les yeux bridés, la peau mate, les cheveux crépus ou le visage pâle, rougi par l’effort.

Tiens un petit rouquin aux joues cramoisies…

Ils ne se mélangent pas toujours, mais ils se mélangent aussi.

Tiens une blondinette à pompons qui se crêpe le chignon avec une petite chinetoque à lunettes.

Ils sont de toutes les couleurs, mâchurés, bariolés, de toutes origines ethniques et d’une seule origine sociale, populaire, et comme en génération spontanée, tous français.

Je n’ai pas forcément une grande estime pour le manager socio-démocrate Delanoë, n’empêche, ce lieu-là, où les petites pisseuses et les petits morveux peuvent venir se râper les genoux pour mieux se les peinturlurer de mercurochrome après, on lui doit.

Tant l’est parisien était laissé à l’abandon par la droite.

Quatre hectares d’espace vert, c’est quand même mieux que ces cages à poules, vaguement concédées aux ados, sous les structures du métro aérien.

Que tous ceux, en ce pays qui ont une maison de retraite dans la tête le sachent bien, qu’ils le veuillent ou pas, l’avenir de ce pays n’appartient pas plus à ceux qui se lèvent tôt qu’à ceux qui se couchent tard, pas plus à un taux de croissance qu’à un taux de compétitivité, l’avenir de ce pays appartient à toute cette marmaille bigarrée et virevoltante, à cette cour de récré.

Que les gens qui n’aiment pas leurs enfants bougent de là, parce que ces enfants-là, ne bougeront pas d’ici. Puisqu’ils sont ici chez eux.

C’est l’enfance de l’art que de le constater : si ce vieux pays a encore de l’avenir, ce n’est pas dans sa courbe de croissance mais dans celle de sa natalité.

Ce pays appartient à ce tas de mômes en bougeotte, qui s’empilent pêle-mêle sur un tourniquet.

Je les remercie d’être là.

tgb


°photo célèbre de Cartier-Bresson

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

16 commentaires sur « Génération spontanée »

  1. S’il lit ce billet, celui qui portait du vin pour ses parents, le petit (à l’époque!) Michel, se reconnaîtra certainement sur la photo prise rue Mouffetard du temps de la vraie Mouff’…

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  2. merci Damoiseau L’Xé (partenaire de twitter) pour ce témoignage de la part de quelqu’un qui a connu Michel (ce gamin connu dans le monde entier qui a maintenant un prénom) – de la petite histoire de la vie à la grande histoire d’une photo et par le biais parfois scabreux mais souvent miraculeux, la preuve, des rencontres sur les réseaux sociaux.

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  3. Ben oui !
    C’est ce que je m’évertue à dire depuis toujours. Quand je vois les enfants et les ados qui rient ensemble, se mélangent, ont les mêmes goûts alors qu’ils ne sont pas de la même origine, je me dis que les réacs ont beau combattre en guise de désespoir : ils ont déjà perdu.
    La réalité est plus forte que leur idéologie.
    Qu’ils le veuillent ou non.

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  4. Le 18éme est un des rares quartiers de Paris où tu vois des gosses dans la rue – ailleurs je sais pas où ils sont – en cours particuliers pour traders peut-être.
    quant à l’Allemagne ce fameux modèle allemand sur le plan la, elle est carrément en voie d’extinction.

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  5. @celeste – Oui Italie Allemagne Russie pays sans natalité – c’est vraiment étonnant venant de l’Italie – je me souviens de ce film de Nanni Moretti où il se désole de la dictature de l’enfant unique.
    merci pour le lien – mais vue du côté de la ligue du nord à mon avis c’est pas gagné !
    @cui cui – oui j’imagine que question terrain de jeux pour faire les cons même une banlieue pourrie c’est plus excitant que Neuilly quand on est gosse – Moi c’était dans la cambrousse – c’était bien aussi – on ne guérit jamais de son enfance…

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  6. « si ce vieux pays a encore de l’avenir, ce n’est pas dans sa courbe de croissance mais dans celle de sa natalité »
    J’abonde !
    Et il serait temps que ce vieux pays se rende compte qu’une bonne partie de ses forces vives, ce sont ceux qui étaient ces mêmes enfants il y a 20 ou 30 ans, qu’on appelle « les jeunes » et qui vivent souvent par delà les périphériques de nos villes.

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  7. Aqueux oui ! « la jeunesse est l’avenir de l’Homme »!…comme ne le dit pas assez le proverbe que tu me souffles…
    J’ai passé l’essentiel de ma tendre jeunesse (en qualité formatrice) en « école buissonnière », dans les rues populaires de Port-Saïd/Port-Fouad, par exemple à jouer au foutte-bail (!?) à courir dans un terrain vague à 50 gamins après une vieille boîte de conserve en guise de ballon ! : J’étais un « yaouled » (un gamin en égyptien, on dit « oualed » au Maghreb) français sans le savoir, parmi quelques autres maltais ou grecs et une masse de gosses arabes…
    L’Egypte a maintenant au moins 82 millions d’habitants (moins de 40 au début de ces années 1950) et sa jeunesse tumultueuse (à Port-Saïd entre autres) se bat pour la Révolution, désormais face à l’armée… qui a la faiblesse intérieure d’avoir de jeunes conscrits…aussi jeunes que les émeutiers, fraternels…
    Bref, bien que citoyen français à 100% devenu, je suis toujours à 100% égyptien (ou syrien, algérien, palestinien…) resté : c’est grave docteur ?

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  8. @dav- oui c’est folie de se passer de ce vivier là , de cette énergie inemployée – merci pour « La Rumeur » – toujours pertinent(e)
    @rem – « la jeunesse est l’avenir de l’homme » c’est évident que vu comme ça ça fait un peu enfoncer des portes ouvertes mais après tout c’est quand même une évidence à rappeler – sinon sacré parcours, port Saïd c’est comme Zanzibar ça me fait rêver j’ai l’impression d’être dans Tintin – c’est pas grave non mais ça ne favorise pas le calcul mental 100% + 100% ça fait comme les 4/3 de Pagnol 🙂

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  9. On reste toujours « citoyen de quelque part », ce qui veut dire que quand on est un éternel « yaouled »(même au Maghreb, Rem*) on aime l’endroit où l’on vit.
    Mais les époques passent, il y a soixante ans, dans une ville ou un gros village de 3.000 habitants les gamins vivaient comme ceux d’aujourd’hui dans cet ilôt de verdure parisien … maintenant, dans ces campagnes, il n’y a plus beaucoup de gosses dans les parcs, au bord de la rivière à pêcher les gardons et … des fois une truite « à la main » !!! Ils sont devant leur clavier, comme moi, devenus quoi ?

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  10. ben ils pêchent des truites virtuelles…où les dézinguent à coups de sabre laser mais bon je connais des gamins qui savent faire les deux – à la main dans la rivière et au joystick sur écran

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  11. Touchant le billet larmoyant . Cherche pas, c’est le plaisir paradoxale.
    C’est beau car j’en pleure…
    *Chapeau melon au nostalgique du bonnet d’âne !

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  12. Il a aussi un nom de famille ;-)! Mais je ne l’ai pas donné, pour respecter son anonymat… Et puis la photo garde un peu de magie et de mystère comme ça!

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