Mal loti

Le lotissement, cet immeuble par terre, étalé, horizontal, est, en ces temps de subprimes et d’accession à la maison individuelle (idéal définitif du rêve français qui s’effondre) et dans cette France de propriétaires ( à l’époque où notre visionnaire président idéologisait en plein American way of life) incarne bien le triomphe de l’individualisme dans une illusion communautaire :

– cette « petite maison individuelle dans la prairie » entité clôturée isolée refermée sur elle-même au sein d’une entité plus large, clôturée, isolée également.et refermée sur elle même tout pareil.

Sorte de mise en abîmes.

En ce sens, il fétichise remarquablement cette nouvelle organisation sociale qui s’installe.

Ensemble mais seuls.
Regroupés mais pas solidaires
Agglomérés et atomisés à la fois.
Indépendant sous le regard (le flicage) de l’autre
Autonome dans la promiscuité.

Une forme d’intimité dans l’inter-surveillance.
Un collectif de gens seuls.

Le lotissement est le lieu même du ni ni
Du non lieu – Du nulle part –
Une forme de délocalisation
De non localisation.

Ni à la ville, ni à la campagne.
Ni culture urbaine, ni culture rurale (on notera tous les contentieux, rapport aux cloches des églises, au chant matinal du coq du voisin, au son des clarines ou aux odeurs des épandages…)
Ni autochtone, ni étranger
Ni tout à fait public, ni tout à fait privé
Ni nomade, ni sédentaire vraiment

Enraciné là par hasard, sans fondations, à crédit et sans racines :

– une communauté aléatoire plaquée sur une autre communauté historique avec mémoire. Une communauté qui, devenue souvent majoritaire finit par prendre le pouvoir (aux municipales par exemple) aux dépends mêmes des « indigènes » de leurs traditions, (s’il en reste) de leurs modes de vie (sans les idéaliser évidemment)

Espace indéfini donc, no man’s land, à la culture indéfinie, voire à l’acculturation dans une non identité, une non identification sociale et géographique au moins.. .

Le lotissement est l’espace même de l’uniformisation et du conformisme.

Boites rangées alignées pareilles, semblables et différentes.
Pareilles dans leur style architectural et leur urbanisation
et différentes dans les détails, qui rendent les inégalités sociales encore plus criantes et plus insupportables à vivre.

Une plus grande baie vitrée par çi, un étage supplémentaire par là, un 4X4 garé ici, un barbecue plus sophistiqué là, voire carrément une piscine, accomplissement définitif de l’accession à la bourgeoisie et symbole même d’une réussite sociale dans sa représentation cliché.

Ce vis a vis qui pousse à l’envie, à la jalousie ou à la compétition
A l’étalonnage de sa propre existence sociale, ce côte à côte où on mesure d’emblée sa position sa progression dans la hiérarchie ou sa dégringolade, ce miroir déformant, cet autre soi-même qui valorise ou dévalorise, auquel on se confronte en permanence, famille contre famille.

On se tolère, on coexiste, mais a t’on un véritable sentiment d’appartenance ?

Le lotissement est l’expression même de l’anti-écologie par excellence

Espace banlieue sans les avantages, les infrastructures
paysage suburbain sans esthétique définie, privé de transports public le lotissement impose à chaque ménage actif de posséder au minimum deux bagnoles (et un seul garage – on imagine que c’est le chef de famille qui en hérite).

Le jardin, accessoire indispensable et rétréci, voire symbolique., impose évidemment des choix draconiens, voire des non-choix d’évidence.

Entre l’arbre fruitier et le barbock, entre le jardin potager et la cabane en plastique pour les mômes, entre le panier Basket, la parabole, le parasol, le salon de jardin Grosfilex et un espace sauvage pourquoi pas voué aux orties, l’espace vert du pavillon moderne, pratique, fonctionnel, de plein pied, (avec sa cuisine américaine) se veut forcément rationalisé et fait l’impasse sur le superflu à savoir l’essentiel. Le végétal.

Une petite maison individuelle dans la prairie c’est comme un appartement à plat, le jardin n’étant qu’une pièce en plus finalement.

Pas d’arbres donc et donc pas d’ombre.
Pas d’ombre et donc la clim (pour le sud et les plus fortunés)
10m2 de gazon et sa tondeuse individuelle
Une piscine enfouie pour la classe supérieure, en toile et posée là, pour la classe inférieure, une pataugeoire à boudins pour les plus modestes.

Le lotissement dans sa conception même est un bouffeur d’énergie, un gaspilleur d’espace, un non sens dans une économie maîtrisée.

Il est aussi l’espace du conflit.

On se renvoie le week-end ses odeurs de saucisses et de sardines, ses petites soirées conviviales (quel mot atroce) qui débordent après 22 heures, on y dépose plainte, pour des histoires de chiens et chats, des différents de haies mal taillées, ou de palissades abusives, on y expose en vitrine, ses légitimes scènes de ménage qui nourrissent le commérage et rassurent les autres.

On fait dans le procédurier.

On est chez soi et chez les autres
On ne se connaît pas mais on se reconnaît
On ne voisine pas : on se juxtapose.
On est le spectateur de l’autre comme il l’est de nous-même.

Je suis frappé par le nombre de faits divers sanglants qui se situent précisément au cœur même de ces lotissements.

Divorces coïncidant souvent avec la livraison de la maison
suicides, massacres familiaux, pétages de plomb divers entre coexistants…

Et en corollaire, le témoignage abasourdi du voisinage après l’horreur :

…rien ne laissait présager…une famille normale…un monsieur courtois…une dame sympathique…bonjour/bonsoir…un couple sans histoires…

Je suis frappé aussi du nombre de panneaux à vendre sur ces maisons-là.

Etrange turn over. : Du aux accidents de la vie. Aux surendettements Aux licenciements. Aux séparations. Aux mutations. Ce genre de maisons provisoires qu’on ne transmet pas, dont on rêve et qu’on s’approprie finalement si peu.

Une accession à la propriété si fragile….

Contrairement aux tours des cités qui ont évidemment leurs inconvénients, leurs violences, leurs solitudes, mais aussi et paradoxalement leur solidarité, leur esthétique, une forme d’appartenance, une identification jusque dans les gangs des halls d’immeubles et des organisations structurées comme on l’a vu même durant les émeutes, dans ces lotissements pas d’enfants qui jouent dehors, pas de bandes de lotissements en vadrouille…

Le lotissement est t’il même un espace pour l’enfance, le souvenir de l’enfance ?

Sociologiquement il serait intéressant de voir ce que donnent de singulier les générations élevées dans cet univers parcellisé.
Politiquement il serait intéressant aussi de sonder particulièrement cet
te population.

Je paierai mon billet que c’est là, l’électorat lambda Sarkozien.
Couche moyenne (celle qui va déguster sévère avec la crise)
Famille composée et bientôt recomposée aspirant au confort matériel individuel, croyant aux valeurs de l’effort, du mérite et de la récompense cablée et consommée, recherchant une forme de sécurité grégaire dans un isolement théorique et une intimité de faux semblant..

Le lotissement exemple de désocialisation cloisonnée réussie

Enfermé autant dehors que dedans..

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

10 commentaires sur « Mal loti »

  1. Nous nous approchons à grands pas de l’absurdité des lotissements à l’américaine que vient de nous exposer le photographe américain Alex MacLean dans son livre « Over – Visions aériennes de l’American Way of Life : une absurdité écologique ».
    voir notamment ici :
    http://cdurable.info/Over-Visions-aeriennes-de-l-American-Way-Of-Life-Alex-MacLean,1277.html
    Comme disait une critique que j’ai lue sur ce livre « A quand le même livre de la France vue d’en haut, pas celle magnifiée et recadrée par Athus Bertrand, mais la vraie, celle des supermarchés en plein village et des parkings remplaçant les champs sur les meilleures terres arables d’Europe? »
    Une visite à Val d’Europe près de chez Mickey France te donnera envie de signer avec joie pour un séjour illimité dans le village du Prisonnier (Portmeirion au Pays de Galles pour ceux qui ne sauraient pas encore ;0)
    Arf !
    Zgur

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  2. Bien vu! Il y a la version « chic », avec commerces de proximité: cinq agences bancaires, quatre pharmacies, deux teinturiers pour gens pressés et un « maraîcher » pour bobos, et surtout pas le moindre troquet! le rêve américain, sans doute… et petite correction amicale: on écrit  » mise en abyme ».

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  3. Ah!ah! bien vu Christine je soupçonne tgb de ne pas être trés net avec ce mot… »abyme », peut-être ses origines savoyardes… toutefois en allant sur wikipedia j’ai relevé ceci :
    L’orthographe évoquée dans le paragraphe précédent est sujette à caution ; on peut en effet lire dans Le bon Usage de Maurice GREVISSE :
    « Les théoriciens de la littérature ont ressuscité la vieille graphie abyme avec y, spécialement dans la formule mise en abyme, procédé littéraire évoquant le jeu des miroirs. Mais certains estiment que, même dans ce sens, la graphie ordinaire peut convenir : Qui sait si le but d’un tel jeu de miroirs n’est pas de nous donner, par cette réflexion EN ABÎME de Hegel sur Genet, de Genet sur Hegel, le vertige de l’indéfini ? (Chr. Delacampagne, in Le Monde, 3 janvier 1975) ».
    Cependant, l’Académie française, dans la neuvième édition de son dictionnaire1, indique pour l’expression « en abyme » l’orthographe abyme ou abysme et rarement abîme
    Et à propos d’Abyme: nom aussi d’un duo artistique caennais fin XXème siècle, je donne l’adresse de leur blog pour les normands:
    http://www.dansez.info/

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  4. Merci à ZGUR pour la référence à Maclean, rien à voir on est bien d’accord avec Athus Bertrand.
    Bravo encore une fois tgb, le contenu, le style et tout et tout!
    Il existe maintenant en France, je les ai vus, des types de lotissements bien connus aux USA :les gated communities avec cette super belle idée (qui devait entousiasmer les sarkosiens d’avant la crise!) : la privatisation des dépenses d’infrastructures collectives.
    http://www.herodote.org/article.php3?id_article=241

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  5. « Le lotissement est t’il même un espace pour l’enfance, le souvenir de l’enfance ?
    Sociologiquement il serait intéressant de voir ce que donnent de singulier les générations élevées dans cet univers  »
    Oui! vous avez mis la le doigt sur un problème qui va peut -être résulter de la société actuelle.
    Les enfants, vivent maintenant hors du monde, ils n’auront plus aucune patrie ni urbaine ni campagnarde, ils vivent dans des aquariums coupés du monde et coupés les uns des autres, des espaces fonctionnels et professionnels d' »elevage », coupés par des transports en voitures. Comment ça devient la structuration d’un être avec une enfance encagée comme ça ?

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  6. Merci merci les Affre (uses) les Affre (ux) pour vos liens et commentaires pertinents (forcément )
    reste plus qu’à se faire une bouffe virtuelle….hihihi
    1 de ces 4

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