Les m’as tu lu ?

C’était une de ces soirées d’hiver. J’étais devant l’excellente émission de Taddeï ‘ce soir ou jamais’ le débat tournait notamment autour de la question de la censure en France.

Un jeune bellâtre tout en pâmoison, les cheveux en pétard de chez Maniatis avec mèche rebelle et accessoirement auteur de romans pas la peine, soutenait qu’il n’y avait pas de censure en France, qu’ il en était la preuve vivante (vivante ? ) écrivant tout ce qui lui passait par la tête (c’est à dire pas grand chose).

Dans un coin du plateau Jean-Jacques Beinex qui se taisait depuis un moment explosa soudain dans une de ces colères saines et si rare à la télé, une colère à la Chabrol, Mocky, une colère dévastatrice qui résumée et de mémoire balançait au blanc bec de la plume dans le cul que quand on avait rien à dire, qu’on était un pur produit marketing, un prêt à lire et à colorier formaté, on ne risquait pas d’être censuré, que parler de cul n’était pas une preuve de liberté d’expression, ça se saurait à TF1, et que les formes de censure en France étaient rarement directes et politiques mais plus subtilement juridiques ou économiques.

Le jeune génie du nombril fictionnel en resta pétrifié, on observa même quelques bavures dans son rimmel, sûr que ni Durand, ni Giesbert, ni PPDA, ces géants de la critique littéraire de complaisance (comme les pavillons) ne lui avaient jamais parlé comme ça. Ce soir là, le jeune auteur de rédactions sur ses vacances en Egypte découvrit qu’une parole pouvait être signifiante et que les mots pouvaient tuer. On ne le revit plus. Sûr que depuis il n’a plus quitté son lit où il doit continuer à se manucurer grave le clavier et à faire des phrases. (Pour avoir lu deux pages de lui à la Fnac je confirme d’ailleurs que si c’est ça la jeune littérature française je préfère encore le scrabble).

Oui il est une star ac’ de la littérature ou de la philo comme de la chanson, une littérature de la vacuité, de l’eau tiède et de l’insipide qui coule des robinets des médias et dont la vocation est l’insignifiance et l’inanité.

Car oui, la censure existe. Elle existe à plusieurs niveaux. Elle peut être politique (pressions amicales de Sarko pour empêcher la publication du livre sur Cecilia, par exemple) elle peut être administrative (fermeture de blog d’un prof) elle peut être économique, on n’édite pas, on ne produit pas ce qui ne se vend pas ou mal ou est exigeant ou est dérangeant et enfin juridique, on assigne en procès, on épuise nerveusement et financièrement l’auteur ou l’éditeur (Denis Robert) qui même s’il finit par gagner en reste marqué, au point de ne plus écrire que la vie ébouriffante d’une madame méteo ou d’éditer la bio trépidante d’un vainqueur de Koh Lanta.

C’est comme ça qu’on se retrouve avec une littérature aseptisée qui ne dérange plus personne.

Un procès en diffamation, c’est ce qui vient d’arriver à Jean-Jacques Reboux auteur et éditeur courageux et indépendant, fondateur des éditions ‘Après la lune’, pour avoir publié Camino 999, un polar de Catherine Fradier, qui fait référence à l’oeuvre de José-Maria Escriva El Camino, créateur de l’Opus Deï.

L’Opus Deï, cette aimable association bien connue pour son ouverture d’esprit désintéressée, sa transparence oeucuménique et son irrépressible sens de l’humour reproche à l’ouvrage de porter atteinte à son honneur et à sa considération en mêlant étroitement fiction et réalité.

Ce qui est normalement le principe même de la littérature mais bon…

LES CONSEQUENCES ??? : je cite Reboux :

« Avec ce type d’assignation, c’est la liberté
d’expression et de création littéraire qui est mise en
danger. Cette menace pourrait concerner demain, si
elle faisait jurisprudence, tous les écrivains.
Dans un second lieu, c’est l’existence même d’une
maison d’édition qui est menacée, car si nous pensons
avoir de bonnes chances de gagner notre procès, il
nous faut engager des frais d’avocat pour assurer
convenablement notre défense. Face à une organisation
puissante et argentée, une petite maison d’édition
victime d’une censure économique lutte pour sa survie.

C’est pourquoi nous avons décidé de faire appel à la
solidarité de tous en lançant une souscription
nationale de soutien.Toute personne désireuse de nous aider,
indépendamment de ses convictions politiques et confessionnelles,
peut envoyer un chèque à l’ordre de APRES LA LUNE (CAMINO)
à l’adresse suivante:

Editions Après la Lune
Souscription CAMINO
26 rue Pétrelle
75009 Paris «


Sûr que le bellâtre ému du fond de son lit et dans ses affres romantico-gnangnan gratifiera « Après la lune » d’un cheque tiré de ses substantiels droits d’auteur. Il serait juste et normal que ceux qui gagnent leur vie en la fermant paient au moins pour ceux qui l’ouvrent en grand. Sinon plutôt que d’aller enrichir Hachette-Lagardere (ils n’en ont pas besoin ils vendent des canons) aidez ‘Après la lune’, eux les canons au moins ils les boivent.

tgb

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Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

4 commentaires sur « Les m’as tu lu ? »

  1. de la plume sur un blog … c’est réjouissant … et c’est si rare … La censure n’a pas toujours à oeuvrer … la plupart des écrivaillons, des journalistes n’ayant tout simplement rien à dire … il n’y a plus rien à couper …

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  2. Ceux qui disent que la censure n’existe pas en France (malgré les exemples que tu donnes, formes sournoises d’intimidation destinée à décourager les autres), ce sont aussi, je crois, en grande partie les mêmes qui disent n’être ni de gauche, ni de droite, et sont donc de droite, puisque satisfaits du monde come il va (mal) actuellement.
    Et merci pour le fou rire matinal pour « si c’est ça la jeune littérature française je préfère encore le scrabble ».
    Vu l’état des jeunes (?) têtes à claques qui se disent écrivains, va falloir que e me remette au Scrabble!
    Arf!
    Zgur

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