les Justes


Et je leur donnerai, dans ma maison et dans mes murs, un mémorial (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés »
Bible, Isaïe 56
Ma grand mère s’appelait Andréa Bertin. C’était une petite dame, solide et frêle. Elle est morte, il y a deux ans à l’age de 99 ans. Mon grand père s’appelait Marius Bertin. Il est mort , il y a longtemps, au début des années soixante. De lui je ne me souviens que de sa jambe de bois, substitut d’une jambe qu’il avait perdue à la guerre de 14 et de son béret noir. Ils vivaient en Savoie. Discrètement, modestement et dignement.
Leurs deux noms sont aujourd’hui inscrits sur le mémorial de Yad Vashem en Israël.
Ils font parti des 2646 Justes de France.
J’ai appris très tard leur acte de courage. Ils ne s’en vantaient pas.
Ils avaient, au péril de leur vie (arrêtés, interrogés par la Gestapo…) sauvés deux petites filles juives, pendant que les parents des fillettes, dénoncés, étaient raflés par la milice. Ces deux petites filles, ils les avaient cachées, puis fait passer en Suisse, par un réseau que mon grand père avait contacté.
Ces deux fillettes sont aujourd’hui grands-mères, elles habitent dans l’est de la France et par leur témoignage, ma grand-mère a eu le bonheur d’être reconnu et honoré avant de mourir.
J’ai filmé ma grand-mère racontant cette histoire. Je savais qu’un jour ce récit ferait trace, aurait une valeur historique.
Quand elle raconte, elle n’a pas le sentiment d’être une héroïne. Elle pense juste que ce qu’elle a fait, au côté de mon grand père est normal. Elle a juste le sentiment d’avoir fait ce qui était à faire. Ce que n’importe qui aurait fait à sa place dans ces circonstances.
Et pourtant n’importe qui ne l’a pas fait.
Pendant la dernière guerre, Il y eut de sales gens, il y eut de braves gens aussi et des gens admirables. Il y eut surtout une immense majorité de gens dans la lâcheté ordinaire qui regardèrent ailleurs pour ne pas voir.
Quand ils sont venus
chercher les communistes,
je n’ai rien dit :
je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus
chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit :
je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus
chercher les juifs,
je n’ai rien dit :
je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus
chercher les catholiques,
je n’ai rien dit :
je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher
et il ne restait plus personne
pour protester.
Martin Niemöller (1892-1984) à Dachau
Je suis fier de mes grands parents. J’aimerais avoir leur force et leur courage. Etre à la hauteur de ce qu’ils furent et de ce qu’ils firent. Quoiqu’il arrive avoir sauvé une vie suffit largement à remplir et à justifier la sienne, il me semble.
– quiconque sauve une vie sauve l’univers tout entier – le talmud
Mais paradoxalement je me dis que les justes d’aujourd’hui sauvent des Palestiniens. Et je me demande, comment un peuple qui a tant souffert et qui a engendré Freud se retrouve à ce point dans un tel schéma à répétition.
J’ai été frappé et je frappe.
Bien sûr je ne compare pas la répression des Palestiniens au génocide des juifs et à la Shoah. Evidemment Sharon n’égale pas Hitler. Mais que d’humiliations, de mépris, d’assassinats ciblés ou pas, d’emprisonnements sans jugement et même de tortures. Mais que d’enfants tués. Massacrés. Estropiés. Traumatisés. Mais quel terrible apartheid.
Pour moi les justes ici et aujourd’hui c’est le journaliste Gideon Lévy qui témoigne dans Harretz de la violence faite aux Palestiniens
– Pour que les Israéliens un jour ne puissent pas dire – je ne savais pas-
C’est Rony Brauman, subissant chantage et intimidations qui s’élève courageusement contre le traitement réservé à la Palestine
C’est Eric Hazan éditeur insulté (éditions La Fabrique) qui dénonce dans les ouvrages qu’il publie l’oppression faite aux palestiniens
C’est Charles Enderlin à qui des intégristes sionistes ont ignoblement décerné le prix Goebbels et qui témoigne par ses reportages
C’est le sociologue Edgar Morin victime d’un procès stalinien, dans la stratégie d’un harcèlement judiciaire planifié, qui ose la vérité
C’est Avi Magrabi réalisateur du magnifique documentaire – pour un seul de mes deux yeux – qui montre l’odieux quotidien des Palestiniens aux checks-points
Tous ces justes d’aujourd’hui, Noam Chomsky, Théo Klein, Gisèle Halimi, Emmanuel Todd, Daniel Bensaïd, Miguel Benassayag… hurlent dans le désert contre leurs propres frères de sang, subissant l’opprobe du procés en Antisémitisme curieusement rebaptisé » judéophobie, haine de soi ou juif honteux « , les tentatives incessantes de les faire taire, les stigmatisations, les pressions médiatiques et même les menaces de mort régulières proférées anonymement par des extrémistes hyper-nationalistes ayant retourné l’art de la persécution.
Quand le triste réseau de nos piètres philosophes se mobilise pour un falot Redeker qui se levent pour ceux là ?
Ces justes, comme mes grands parents, par leur parole ou leurs actes sauvent l’honneur de tout un peuple et de toute une communauté qui piteusement par confort, aveuglement ou idéologie regarde ailleurs.
tgb


Photo : plaque commémorative en hommage aux justes – Allée des justes Paris 4eme.

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

Un avis sur « les Justes »

  1. Beau texte dont je partage les convictions.
    Seule la vérité peut faire avancer les choses.
    « J’aimerais avoir leur force et leur courage. »
    Seules les circonstances nous montrent (ou pas) si nous sommes de ce « bois » là.
    « Le courage, la seule vertu qu’on ne peut contrefaire » dixit Napoléon cité par JF Deniau dans son « Histoires de courage » que je te recommande.
    Zgur

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