Et soudain le ruissellement

Si toutes choses devenaient fumée, on connaitrait par les narines – Héraclite

Je suis entré à Notre dame une fois. Il y a longtemps. Je venais d’arriver à Paris. Comme tout bon provincial, j’ai visité les monuments. J’ai flâné, fureté, j’ai beaucoup marché.

Ensuite, comme tout bon parisien, je n’ai plus jamais fichu les pieds ni à la tour Eiffel, ni à l’arc de triomphe, ni aux invalides…

Des fois, je me dis que je devrais prendre mes vacances à Paris et jouer les touristes. Et puis je me casse dans mes montagnes ou en Crête.

Le jour de ma visite à Notre Dame donc, il y a longtemps, j’étais tombé sur deux bonnes soeurs toutes décaties qui faisaient le planton à la sortie avec deux vilains cartons pendus autour du cou et sur lesquels étaient inscrits au feutre qui avait bavé :

‘ CCP….’

J’ai oublié le numéro du compte.

J’avais été assez heurté par le côté misérable de la chose et voulant m’en ouvrir à un responsable, j’avais hélé un curé qui trainait là et qui s’était débarrassé de l’affaire en me répondant :

J’ai pas le temps !

En ce lieu d’éternité, de recueillement et d’écoute j’avais pas tellement apprécié. La preuve, je m’en souviens.

Bref, je n’y suis jamais retourné.

N’empêche quand la cathédrale s’est mise à brûler je me suis précipité à Montmartre (je suis du 18ème) pour vivre cette catastrophe au milieu de tout un public pétrifié, tant au fond elle fait partie de moi, me (nous) constitue.

Il y avait comme un air de sidération grave et d’abattement général.

Je regardais un peu accablé, au loin, le panache de fumée s’élever, le brasier se consumer tout en maudissant la fatalité de ne pas s’être acharnée plutôt sur cette saloperie de Sacré Coeur, cette offense faite aux communards, juste derrière moi.

Et puis le cirque a commencé.

Et la société du spectacle et la récupération marchande et politique. Les enchères des riches apatrides de l’impôt soudain si patriotes, à se refaire une virginité philanthropique à nos frais.

Pas de ristourne pas de dons.

Les mauvaises comédies des mauvais comédiens qui nous gouvernent façon Ikea. Les tartuffes poudrés de l’austérité et du pognon de dingue à l’injonction émotionnelle. Les délires hallucinés des Bernadette Soubirous en lévitation. Les apôtres du paf en transe. Les experts en tout, éditocrates couvreurs zingueurs. Le téléthon compassionnel et la charité business lavant toutes les misères et arnaques du monde. La sainte alliance du sabre 5 étoiles et du goupillon en érection et la résurrection miraculeuse d’avant Pâques d’un ministre de la culture non identifié s’inscrivant au concours Lépine de l’idée la plus con.

Et d’étranges images me traversaient.

Quasimodo demandant l’asile sacré pour le prisonnier politique Assange. Le ballet des armes qui tuent sauf au Yemen façon pistolet à eau et son Benalla planqué dans la sacristie. Les victimes des tempêtes par ci par là, pas « bankable » pour un rond dansant en jaune fluo sur les moquettes profondes de l’Elysée en attendant le plus grand pont aérien depuis Berlin…

Et tandis que nos admirables pompiers risquaient leur peau de fonctionnaires qui foutent rien qu’à grever nos budgets, je me demandais simplement si les ruines fumantes de Notre Dame bientôt privatisée n’étaient pas l’allégorie effondrée de notre triste Etat.

tgb

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Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

12 commentaires sur « Et soudain le ruissellement »

  1. ND ? J’y suis entré une fois quand j’étais gamin, avec ma tante qui habitait près de Paris : c’était un dimanche soir, le concert d’orgue gratuit. Bien entendu je ne suis jamais entré dans le machin blanchâtre, sur la Butte. On a sa fierté !
    Curieusement je me souviens encore très bien d’avoir vu un extrait du film de 1956, avec Antony Quinn et Gina Lollobrigida, c’était à la Séquence du Spectateur le dimanche vers midi. Personne n’avait la télé, il y en avait une dans la salle de catéchisme à côté de l’église. L’écran devait être un onze pouces…. noir et blanc bien sûr.
    C’est vrai, tout ça, ça date un peu…

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  2. j’adore ce genre de souvenirs – on a tous des petits bouts de mémoire comme ça qui nous relient on ne sait trop comment – un lieu – un jour – une image – un personnage …

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  3. Ce n’est pas un événement dramatique c’est un drame. Un drame en lui même et également une allégorie, effectivement. Le point d’orgue de notre temps, de celui de notre république. Tout y est violemment comme un concentré de ce que ce régime est capable de détruite et d’afficher sans gêne . Son indécence dans des manifestations politiques cyniques et sa morgue des oligarques. Ce drame a toutefois une vertu pédagogique pour ceux qui n’auraient pas encore compris. La célérité pour certains à débourser des millions et leur toute aussi grande célérité à réclamer des crédits d’impôts sur ces sommes sont une leçon de chose qui vaut plus que des démonstrations sophistiquées. En passant ces Arnaud, Pinault and co. sont vraiment cons de ne pas avoir prévu la débilité stratégique de leur décision.

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  4. trop de confort tue l’intelligence heureusement ils peuvent s’offrir l’intelligence des autres – cela dit quand on voit le niveau de leurs larbins on peut se poser des questions – moi je veux bien me vendre mais personne ne veut m’acheter –

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  5. Ne dit-on pas « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Le premier degré de ce dicton leur convient parfaitement. L’utilisation de tout événement par le pouvoir montre leur essoufflement eux qui pointent celui des GJ dans tous les medias. On laisse planer, induire la malveillance de ceux qui s’introduisent dans ce monument. La propagande est sacrée pour ce gouvernement.

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  6. faire la charité avec l’argent des autres c’est quand même balèze y’a que des riches de cet acabit pour être aussi inventif et pingre mais on le sait l’argent va à l’argent

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  7. « Un âne plane
    Autour des tours de Notre-Dame
    Un âne clame son existence
    Avant qu’elle ne se fane
    (…) »
    Sûr qu’avec : « Un petit roquet plane », c’est moins bien.
    N B : merci Mrs Alain Bashung (grande pointure !) – Jean Fauque

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