Gilets jaunes et oies blanches

Quiconque attend une révolution sociale pure ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. » Lénine

Ce qu’est le gilet jaune je sais pas. Je regarde. j’écoute. j’analyse. Je cherche à comprendre d’où ça vient où ça va sans certitudes, sans jugement établi et sans trop de filtres si possible.

Mélange de poujadisme, de fronde et d’exaspération sociale. Un cocktail hétérodoxe de pire et de meilleur. Un fait de société c’est sûr. Un surgissement spontané de colères, de misères et de fatigues diverses, contradictoires, confuses et réelles. La coagulation de frustrations et de sentiments d’injustices traités par le mépris et l’arrogance.

L’éruption soudain d’un bout de peuple fracassé, accablé, résigné qui entre en ébullition pour pas péter les plombs.

quelque chose d’instinctif qui dit à sa manière que ça peut plus durer.

284710 manifestants d’après Castaner – raté : y’en avait encore deux planqués dans un buisson…

Ceci est une alerte, ceci est une répétition, le peuple ( s’il existe), les classes modestes et moyennes en tout cas, les masses, les gens, les cons de consommateurs et d’électeurs, les cochons de payant…s’exaspèrent et foutre un couvercle dessus en se pinçant le nez n’y changera rien.

ça bouillonne, ça travaille en dedans, ça s’agite, ça sent le soufre et le sang.

Si ce n’est pas de la révolution c’est en tout cas de la révolte, de l’émeute, de la mutinerie quelque part, du soulèvement pas vraiment mais de la jacquerie et de la rébellion. Que ça dérange les uns arrange les autres et que chacun y trouve ce qui y est ou pas avec son prisme déformant, en tout cas ça dit quelque chose de la pression qui monte et qui crache sa vapeur.

«  Qu’ils viennent me chercher » qu’il disait l’autre poudré dans son bunker derrière ses barbelés, jouant de la provocation comme le dernier merdeux mal taloché.

Ils vont le chercher.

Ils font simple, ils font basique. Il crèche à l’Elysée ils vont à l’Elysée. 5000 de plus et ils le ramenaient sur une poutre avec du goudron et des plumes.

Des années de manifs patentées, à déposer très officiellement le 2345éme parcours en préfecture, à croiser le cortège de la « pure gauche » bastille-république dans la montée, tandis que le cortège de la « gauche pure » république-bastille entamait la descente, sans qu’aucun corps intermédiaire bien dans les clous, syndicat, parti politique, voire groupuscule anar-black-blocké n’y ait jamais pensé.

Peut être qu’ils sont beaufs, pouilleux, bouseux, ces gilets jaunes mais pas si cons.

– tu nous invites on vient et et t’as intérêt à vraiment payer ta tournée tocard –

Si ce n’est un mouvement révolutionnaire, un peuple de plus de 40 ans de moyenne d’âge n’entre pas en insurrection comme ça, n’en déplaise aux vrais révolutionnaires de la vraie révolution le matin du jour du grand soir mais que je le verrai pas, avec de vraies morceaux de barricades dedans, n’empêche ça fout un sacré bordel quand même et à les voir les autres, les pompeux, les poseurs, les imposteurs de la posture, de la dénonciation du « populisme » plein la bouche que quand on a dit ça on a rien dit, tout suintant de suffisance, les confortables du jugement dernier se dandiner sur leurs chaises dans le mépris condescendant par exemple d’un confrère du Monde

aussi drôle que Plantu (c’est dire) ou d’un vieux con de Goupil dénonçant la chienlit (sic)…c’est toujours bon à prendre.

J’entends bien que pour décerner les brevets officiels du révolutionnaire professionnel apte et vertueux il faudrait valider du CV exiger de la lettre de motivation. Va savoir si le coiffeur jaune fluo de Bort les Orgues ( Corrèze ) ou l’auto-entrepreneur en plomberie de Plounéour Menez (Finistère) qui tient le rond point a seulement lu Gramsci ou obtenu son UV de Proudhon dans le texte.

S’agirait pas de mêler l’authentique subversif, l’incontestable insurgé diplômé qui sait, avec le gueux aux idées qui sentent le graillon.

Pour les vrais révolutionnaires de la vraie révolution vraie, garantie sans gluten, idéalement faudrait faire l’insurrection pour le peuple mais sans lui. Vu que le peuple (s’il existe) ça grouille un peu du fion, ça a le fond du caleçon pas toujours reluisant et que ça daube de la vanne graveleuse.

Un peu comme les jolis, les irréprochables, les exemplaires qui signent au 104 le grand serment d’amour aux réfugiés exilés migrants sans même savoir que le réfugié exilé migrant git à cent mètres de là au jardin d’Eole dans le froid et la merde.

OUI, même avec les meilleures intentions du monde les mondes peuvent s’ignorer parfaitement et n’être pas du même monde du tout.

Car le mépris (ou le déni) de classe ne passe pas forcément où l’on croit, en ces périodes confuses et bouleversées, la morgue du premier de cordée de la révolution heureuse avec son petit déambulateur à penser dans la tête, peut aussi bien regarder du haut du balcon la horde d’en bas avec morgue, tout comme le moindre tuteur de l’éditocratie française planté dans le pot de chambre du puissant.

Oui, il faudrait, et comptons sur les historiens militants de la cause éthérée, relever les identités des communards, des sans culottes et bien vérifier si dans la foule des révoltés, massacrés, fusillés, il n’y avait pas des goujats de la chose, des abrutis lambdas, des mal polis, des bras cassés, des pue-la-sueur et des traine savates à peine conscientisés et si la prise de la bastille fut bien déclarée au préalable fort préfectoralement. 



Car il faut se rendre à l’évidence, si le pouvoir passe par l’élection, il vous faut réunir pas mal de millions de gens avec forcément pas que des prix Nobel dedans, et sinon par l’insurrection, quelques milliers de types pas forcément gratinés et tout prêts à se faire trouer la peau sans même connaître in extenso les paroles de L’internationale.

Sûr que ça te gâche un peu le romantisme guévarien.

Peut-être bien après tout que le « rien » ça peut ne pas valoir grand chose mais est ce bien la question quand on parle de castes, de classes, d’intouchables d’en haut et d’en bas et pas pour les mêmes raisons ?

OUI surement que dans le gilet jaune phosphorescent ça doit chlinguer un peu et sentir la rose des fois. Doit y avoir du bon gars, du nigaud, du pas sortable, du brave type, du bourrin et même du raffiné, avec de la machine à récup collée au train, genre voiture balai, oui surement !

un peu (juste un peu) comme du temps de la résistance où se côtoyaient communistes, gaullistes, métèques, bons français, athées, cathos, juifs sans le savoir (jusqu’à ce qu’on leur colle une étoile jaune sur le front), anars espagnols, royalistes, pétainistes convertis juste à temps et même anciens de la cagoule…ça faisait le coup de feu ensemble, crevait ensemble avant que dans les repos du guerrier, ça se refoute sur la gueule.

Alors faut bien se dire que question chambardement, y’aura jamais de transformation chimiquement pure, d’immaculée subversion, de soulèvement virginal. Ce sera toujours un peu cracra, un peu moche, plus ou moins mal foutu, qu’il y aura du mariage de carpe et de lapin, du collabo d’un jour et du héros du lendemain, et que tout ça ira ou pas dans le vent de l’histoire et qu’il faut être un bon crétin bien repu du cerveau pour nous faire la grande leçon, du c’est, c’est pas, façon grand sachant.

tgb

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Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

15 commentaires sur « Gilets jaunes et oies blanches »

  1. Là, c’est de la grande indignation naturelle, sans chichis, sans fleurs ni couronnes, juste avec les tripes.
    Nous, les cocus de la politique depuis des dizaines d’années, nous sentons que monte la grande voix faite de millions de voix, celle de nos frères humains, les vrais humains. Enfin quelque chose se réveille comme il y a si longtemps. Comme le 10 août 1792. Comme en 1871 dans plusieurs grande villes. Les pourris de Versailles en oubliaient qu’il y avait des toilettes dans leur fuite éperdue, qu’ils lavèrent dans le sang des citoyens. Les mêmes recommencèrent, depuis leur refuge de Vichy soixante-dix ans plus tard.
    Le Peuple est toujours là, bien trop nombreux pour qu’ils puissent s’en débarrasser : en revanche, pourquoi pas l’inverse ?

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  2. en tout cas ça remue dans les chaumières et ça chauffe dans la chaudière même si certains n’ont pas de quoi – le peuple (s’il existe) gronde !!
    content de te lire

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  3. 96 ans : « on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs » Le peuple (et je suis fière d’en faire partie)est gouverné pendant des année par des gens qui se songent qu’à leurs avantages…Les gens sont excédés de n’être jamais écoutés et d’être méprisés. Les revendications portées par les gilets verts ou jaune sont multiples. Pour chacun, il y a la goutte d’eau qui a fait déborder le verre… Et pour ceux qui se plaignent, leur dire qu’une Révolution, ça fait toujours des dégâts.

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  4. Bravo pour ce texte aussi juste que très bien écrit !
    ça fait du bien de voir qu’il y a encore des camarades lucides qui ne décrochent pas.
    Salut & fraternité à son auteur et bons lecteurs
    Serge Diaz (de l’Eure)
    le 20/11/2018

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  5. @thérèse – très honoré de vous compter parmi mes lectrices et de vous savoir toujours aussi combattive
    @serge – on fatigue on use et on s’use du clavier mais bon des commentaires comme ceux là redonnent du jus – je ne prêche que les convaincus mais au moins on se sent moins seul et peut-être même plus nombreux que l’on croit

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  6. Oui c’est bien d’entendre un autre discours, je trouve cependant qu’il ne touche pas du doigt la réalité concrète de ce mouvement.
    Entre les rapaces à l’affût du moindre soupir du bon peuple pour lequel ils se découvrent un amour soudain, les nantis de tous poils- politiques et économiques-, ceux qui ne verseront pas un Kopek pour l’environnement soit dit en passant, le bien commun n’est pas dans leur horizon et nous les « gens ».
    Les gens n’ont plus de transports en commun sauf s’ils habitent dans un grande agglomération ( c’est même pour ça qu’elles grossissent de plus en plus comme la grenouille) mais à qui on reproche de polluer avec leurs voitures, les mêmes à qui on prélève un peu plus de CSG : vous gagniez 1380 euros, c’est trop!, 1300 c’est suffisant nous disent avec un air condescendant ceux qui gagnent 5 à 10 fois plus. Les gens qui n’ont pas d’argent sont forcément bêtes et incultes. Vous voulez voir des expos, aller au cinéma mais la culture c’est pas pour les cochons de pauvres. Certains départements pratiquent la gratuité pour leurs musées mais il n’y a ni car ni train pour s’y rendre si vous n’avez pas de voiture, si votre voiture est obsolète ou si l’essence est trop chère, vous voilà assigné à résidence. Nous voilà revenus à notre point de départ. De toute façon, les pauvres c’est trop dangereux et encore plus s’ils sont lettrés et en plus ils sont solidaires. Il vaut mieux qu’ils restent chez eux, pas de vacances, pas de cinéma, c’est comme ça!! Je ne parle pas des spectacles que l’on ne peut plus se payer dès qu’on est à la retraite. Manger et dormir chez soi c’est bien suffisant pour les retraités, on oublie d’ailleurs qu’un grand nombre d’entre eux comble les manquements de tous ces condescendants en étant bénévole dans les associations. Ce mouvement n’est pas populiste, comme l’affirment certains et populaire n’est pas un gros mot. Le gens sont juste confrontés à une dure réalité et sentent que l’environnement sert de paravent puisque les plus grosses pollutions sont protégées voir encouragées par les lobbyistes via les états, aux ordres. D’autre part,la charrue une fois de plus est mise avant les bœufs, il faudrait peut-être commencer par reconstruire ce qui a été détruit, des transports dignes de ce nom et bon marché, par exemple, des services publics sur tous les territoires pour qu’ils soient repeuplés et par voie de conséquence, le travail moins éloigné: moins de trajets, moins de pollution. Ceux qui prennent des décisions au nom des autres et contre eux sont coupables avec leurs intentions cachées et leurs raisons affichées. Et tous quelque soit leur classe sociale ont conscience de l’imposture et ressentent la brutalité de cette classe politique.
    Pour conclure, ma grand-mère disait : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

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  7. Merci pour ce texte. En tous cas si quelque chose se porte bien en France, c’est bien la haine et le mépris de classe…un peu de littérature, de la vraie: « Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L’un ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles ; l’autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l’écorce de la politesse. Le peuple n’a guère d’esprit, et les grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fond, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple. » (La Bruyère, *Les caractères*, « Des grands », 25)

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  8. Une fake new circule comme quoi le PDG de Renault serait en prison au Japon. Que nenni, suite à une jaunisse carabinée, le bonhomme, exilé en Asie, est hospitalisé avec un régime à base de riz. Suite à la Grande Peur des Gilets Jaunes, les grands patrons ont le slip marron.

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  9. ça se tient Robert – ainsi il serait le premier réfugié politique de notre charmant pays tout jauni (une sorte d’hommage posthume à l’idole des jeunes et à son héritage franco-américain )

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