Les enfants de la plage

Que les enfants de la plage et les 400 autres me pardonnent mes jours d’indolence d’ici, loin si loin de leur cauchemar et de la lacrymo dérisoire de Château Rouge. Qu’ils m’autorisent ces heures entières d’insouciance à ne rien faire d’autre qu’être bien. A voir et contempler, à toucher et sentir, à m’émerveiller tranquille de trop de beauté, de tant de caresses douces et sonores, du roulis perpétuel de la mer, du concert des cigales par vagues ensoleillées, du parfum enivrant de chanvre et d’oliviers dans la torpeur de l’ombre.

Que les mômes de la plage et les milliers d’autres à qui l’on a tué l’enfance me laissent cet égoïste répit de jouer avec les enfants d’ici qui ne risquent rien d’autre que de s’écorcher sur les rochers en écoutant le dialogue secret des chevreaux presque sauvages avec leur mère. Qu’ils m’autorisent la quiétude de l’aube suave jusqu’à l’heure bleue du soir, ce moment précis ou les milliers d’ailes et d’élytres rendent un ultime hommage au grand dieu Citron avant qu’il plonge, avant de faire soudain silence avec le crépuscule.

Que les gamins de la plage là-bas me laissent les oublier le temps de rejoindre les gens d’ici et de boire avec eux toute la gentillesse et l’hospitalité crétoise à coups de verres de raki sous les caroubiers et les tamaris, à célébrer nos retrouvailles, jusqu’à nous laisser croire que le monde est si bon et la vie si facile. Oui que les gamins de la plage dévastée aient la chance un jour de faire chanter les pierres plutôt que d’en faire leur seule arme face au carnage légalisé, au chèque en blanc des puissants, aux Ponce Pilate misérables qui s’en lavent les mains pleines de sang et me couvrent de honte.

Que les enfants de la plage jouent comme ici au ballon sans bombes, à la guerre sans la guerre, sans que demain, ils deviennent eux-mêmes des bombes humaines, nourris par tant de violence si confortablement justifiée par l’hypocrisie sordide de l’occident humanitaire et colonial. Que les enfants de la plage là-bas aient un jour le droit comme ici de jeter des cailloux dans l’eau en s’éclaboussant et d’empiler en riant les galets sur la grève.

Dieu que la guerre est sale et l’été si léger.

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

12 commentaires sur « Les enfants de la plage »

  1. Joli texte….Que dire face aux saloperies qui gagnent les cerveaux: « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! ».
    (Yves Paccalet)

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  2. @ Robert Spire
    tout mon mépris pour l’humanité dans sa forme toxique hélas dominante ne suffit hélas pas à me consoler de cette « disparition » qui nous pend au nez… le cosmos regrettera éternellement je crois la part d’humanité éclairée.
    au fond j’ai toujours autant de peine à digérer hirohima, nagasaki, three miles island, tchernobyl et fukushima. comment a-t-on pu nous faire croire que les savants atomistes n’étaient pas des apprentis sorciers ?
    la pomme interdite, c’était le plutonium… le feu de Dieu dont il ne fallait pas s’approcher. dire que c’est la France qui a offert sa bombe à Israël…

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  3. Bombe atomique ou pas, il y a plus inquiétant. Un phénomène climatique, genre « bombe méthane » semble s’amorcer de manière irréversible: la libération du méthane du permafrost et des fonds marins devrait provoquer un emballement incontrôlable de hausses de températures bien plus importantes et rapides que prévues.
    https://www.slate.fr/story/90347/trou-siberie-rechauffement-climatique-methane
    http://motherboard.vice.com/read/if-we-release-a-small-fraction-of-arctic-carbon-were-fucked-climatologist

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  4. Les enfants t’ont déjà pardonné et t’invitent à revenir rapidement car ils n’ont pas de culpabilité (sauf celle induite par les adultes) ! Ils t’invitent à revenir à leurs apprendre à faire des ricochets, à leurs expliquer les aspérités de la roche, à leurs parler de sottises et autres histoires qui les font éclater… de rire ! Quand vous êtes partis, les enfants de la plage parlaient de vous encore.
    Les autres enfants qui n’étaient pas si loin de nous n’ont pas cette chance de te connaitre. Instruit ceux qui sont présents !
    Le responsable est toujours celui qui tient la machette pour le mal. Toi, tu tiens les paroles pour le bien. Alors profitons de ces instants offerts. Tu ne tiens pas d’arme pour instruire, tu as bien plus.
    As tu observé la couleur de leurs yeux ? as tu retenu la sonorité des éclats de rire ? as tu savouré cette envie de partager ? Eux ils sont bien vivant et ils nous donnent de l’amour et de l’espoir.
    Vivement l’année prochaine pour atteindre avec toi la grotte car ils l’ont fait cette année, tous, même le plus petit. Sans violence… seulement des adultes bienveillants, un peu de risque et une farouche volonté de réalisation.
    Reviens les instruire, tu pourrais en sauver une poignée, de la mauvaise pensée. Ce sera déjà ça !
    Rien ne peut se refuser quand c’est « from the house ».
    Ceux qui meurent, aimeraient notre place mais ils n’y sont pas. Parlons d’eux, ne les oublions pas. Mais profitons pour eux. En plus, ça m’arrange !

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  5. merci « bordeaux » pour ce commentaire exquis et plein de délicatesse – Oui faisons là où nous sommes et ce que nous pouvons – être léger sans être lâche c’est au moins ne pas alourdir le poids du monde. quant à la grotte waouhhh dans l’état de décomposition avancée dans laquelle je suis va me falloir des siècles d’entraînement mais voilà au moins une bonne raison de reconquérir mon pauvre corps.

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