Lâcher prise !

Quand, en voile, tu as un vent de face, le simple fait de vouloir remonter contre lui te fait mécaniquement reculer. Paradoxalement alors le seul moyen d’aller vite est de choisir la route la plus longue, celle qui consiste précisément à tirer des bords.

On ne lutte pas contre le vent, on fait avec.

Quand le rapport de force est disproportionné, quand dans le combat on n’a visiblement pas les armes, est-il vraiment utile d’offrir son corps en pâture, de gaspiller une débauche d’énergie, de se ruiner jusqu’à entrer dans l’histoire en victime expiatoire, en héros sacrifié ?

On lâche rien ! ce slogan emprunté au monde sportif et à ses 10 mots de vocabulaire m’exaspère. On lâche rien quoi ? On lâche rien pourquoi ? on se cramponne comment et on s’accroche à qui ? On lâche rien jusqu’à être emporté par le torrent de l’histoire ? On lâche rien à ressasser indéfiniment ce qui devrait être, ce qui aurait pu être, ce qui n’a pu être et la faute à qui et yakafaukon ?

Et si on contraire, on lâchait quelque chose, voire tout, et si au contraire on lâchait prise !

Lâcher prise ce n’est pas renoncer, c’est juste différer, attendre. C’est décaler, changer de perspectives. C’est préférer la maîtrise au contrôle. C’est tel le surfeur, jouer de la vague plutôt que de l’affronter. C’est se la couler douce, épouser la courbe, dans la fluidité et le mouvement, souple comme le roseau, vif comme l’éclair.

Lâcher prise, c’est accepter nos limites, nos faiblesses nos insuffisances. En faire une force. C’est être la goutte d’eau dans l’océan, l’océan dans la goutte d’eau, n’être ni l’aile droite, ni l’aile gauche mais l’oiseau.

Lâcher prise, c’est identifier calmement les points faibles des forces adverses, privilégier la guérilla au combat, choisir l’embuscade plutôt que l’affrontement. Surgir et disparaître, se fondre dans le paysage, être partout et nulle part, invisible avant d’être éclatant, inconsistant à n’offrir aucune prise avant de s’incarner dans la fulgurance.

C’est pousser l’autre à s’épuiser dans le vide, à sortir de la grosse artillerie pour écraser une mouche. « Si tu crois que tu es trop petit pour changer les choses alors passe une nuit avec un moustique ».

Lâcher prise c’est se donner le droit au temps et à l’erreur.

Autre slogan qui me révulse, scandé dans les meetings et les manifs : « résistance ! »

Résister c’est s’arc-bouter en vain sur l’ancien, c’est intégrer le fait que l’on ne peut rien changer mais uniquement conserver. C’est protéger le passé sans inventer l’avenir. C’est se maintenir dans une posture figée, être sur la défensive, alors qu’il nous faut précisément attaquer.

Attaquer des cibles à notre mesure. Se contenter de petites victoires, de succès symboliques mais palpables. Ne pas se fixer des objectifs hors d’atteinte ni des obligations de résultats déraisonnables et démobilisateurs.

Etre modeste mais exigeant.

Au front de gauche nous faisons 6,3%. C’est ce que nous valons. Pas mieux. Inutile de nous raconter des histoires. Aux présidentielles nous fûmes 4 millions, aujourd’hui nous représentons un million de voix. C’est énorme et c’est trop peu. On ne rentre pas de force dans une histoire qui ne veut pas de nous. Pas encore. On n’oblige pas un peuple à faire son bonheur malgré lui.

Que savons nous d’ailleurs du bonheur et de la vérité ? Qui a décrété que nous avions raison.

Au moins avons nous nos raisons.

Lâcher prise c’est lâcher son égo, c’est se libérer du poids inutile de « sauveur de la patrie en danger », c’est se préparer tranquillement aux opportunités, quand le vent tournera car inéluctablement il tournera.

Pour ne pas revenir de tout, il suffit d’aller nulle part. Nous qui voulons aller quelque part ne nous infligeons pas de revenir de tout.

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

22 commentaires sur « Lâcher prise ! »

  1. LÂCHER-PRISE….voilà, c’est ça!
    Sans guerre, ni contre toi, ni contre les autres!
    Soit du bon coté de la pièce,le bien!
    Fais ce qu’il y a de mieux pour toi et les autres T’occupe pas des « guerriers », connais-toi, attends!
    J’en suis à cette phase…mais quand même : je n’arrive plus à rire!

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  2. Si je comprends bien ce que tu évoques parfois avec prudence, je suis complètement à fond avec toi.
    Il faut savoir changer de stratégie quand celle-ci se révèle inefficace.
    Il faut éviter les gros médias qui vous broient systématiquement.
    Il faut gagner internet, le terrain, les petits espaces.
    Peut-être n’ai-je pas tout compris ?
    .

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  3. en espérant faire avancer les choses, voici pourquoi je me suis détourné de méluche: j’en ai eu marre d’entendre ressasser tout le temps la blague sur l’économie de la mer comme si c’était une solution providentielle. après avoir pollué tout ce qu’on pouvait sur terre, l’idée géniale serait maintenant d’aller pourrir le fond des océans… ça n’a pas pris avec moi. j’attend le politicien qui proposera une analyse semblable à celle-ci: https://www.youtube.com/watch?v=a0J2gj80EVI

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  4. @cui cui – oui c’est à peu prés ça – il faut savoir surprendre l’adversaire et visiblement ça ne fonctionne pas ou plus – faut accepter de faire un boulot plus ingrat et avec toute l’estime le respect que j’ai pour Méluche il y a au parti une forme de népotisme qui asphyxie tout – faut décrocher et se remettre de l’air dans les neurones.
    @bill – oui ça commençait un peu à tourner à vide mais ce n’était qu’un exemple – en tout cas il nous faut penser l’écosocialisme de demain et pas s’arquebouter sur les acquis d’hier – faut tout réinventer et déjà reconquérir le vocabulaire – pour moi c’est essentiel

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  5. Alors nous sommes d’accord.
    Je me suis fait lyncher hier sur twitter en défendant la même ligne que toi.
    Certains militants de gauche, à ma douloureuse surprise, confondent un parti de gauche avec un fan club…
    J’aime bien Méluche mais il faut qu’il nous écoute sous peine de perdre nos espoirs…

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  6. Je crois beaucoup aux microrésistances et alternatives qui se développent un peu partout, NDDL par exemple. Je constatent que leurs porteurs ne croient pas à des débouchés électoraux pour elles… et ont quelques raisons pour ça, tant la technostructure partisane a du mal à être à l’écoute, a fortiori quand elle est aux responsabilités locales. Aprés, un système ne niches protégées ne e réjouit pas. Mais un système de sabotage généralisé par grains de sable me semble aujourd’hui la seule chose possible.

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  7. @valdo – Oui je pense qu’à la manière du Snowden le sabotage ou la grève du zèle peut être une arme redoutable – partout où nous sommes nous pouvons être le grain de sable qui grippe la machine. Il ne faut plus rien attendre d’en haut mais agir là où nous sommes.
    @françoiseD – visionnaire le petit père Marcos

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  8. « Au front de gauche nous faisons 6,3%. C’est ce que nous valons. Pas mieux. Inutile de nous raconter des histoires. Aux présidentielles nous fûmes 4 millions, aujourd’hui nous représentons un million de voix. »
    Oui. Tant que le PCF ne sera pas mis en demeure de rompre totalement et définitivement d’avec les socio-kollabos ou de quitter le Front de gauche, bref, de choisir entre la droite solférinienne et la gauche authentique, en dépit de tous les possibles à portée de main, les pauvres, les chômeurs, les handicapés, les SDF, les vieux, les exploités de tous poils n’auront absolument rien à espérer. Autant lâcher prise, en effet.
    @Bill : en effet, son « économie de la mer » ne me dit rien qui vaille, à moi non plus. Du productivisme imbécile, encore et encore. Mais ne t’inquiète pas trop : la puissance de l’Océan est infinie, et c’est pour moi une joie sans mélange que d’assister aujourd’hui aux tempêtes qui dézinguent les horreurs bétonnées dont on a affligé le littoral pour cette vérole qu’est le tourisme de masse. Quelqu’un qui ne reste pas sidéré face à la beauté de l’Océan ne mérite pas de vivre : quand on est insensible à ça, on est insensible à tout.

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  9. Comme tu le sais, je ne suis pas allée voter, parce que depuis le 4 février 2008, je me refuse à participer à ce cirque. Cette élection n’ avait aucun intérêt et le nombre d’ abstentionnistes montrent que les populations ne sont pas dupes.
    Dans le cas bien précis du groupe de Méluche, le problème est bien en France , puisque son groupe au niveau européen est plus important qu’ avant.
    Le parlement européen en lui même n’ a pas beaucoup changé, si ce n’ est le groupe de l’ UMP, qui perd 60 députés et ce sera de toutes façons encore et toujours UMP et PS, EELV , Modem ( enfin je parle de leur groupe respectif ), qui vont voter comme un seul homme tous les textes qu’on daignera leur soumettre et que même s’ils venaient à  » être rebelles » , on s’ arrangerait pour contourner leurs votes …mais je dois dire que ça arrive rarement .
    D’autre part , je ne connais pas de député français ayant fait la révolution là-bas . Ceci dit le parti de gauche , ainsi que les autres partis de gauche se sont laissés voler les thèmes importants , les combats importants et la peur d’utiliser le même langage que les voleurs de langage (essentiellement dans un but électoral ), leur s’interdisent de les évoquer .Et peut-être que les électeursn’ ont pas trouvé chez Méluche et ses compagnons ce qu’ ils veulent entendre et puis peut-être sont-ils échaudés ( son appel à voter Hollande sans contre-parties ) .
    Pour moi il n’ y a qu ‘un seul combat, qui permettra de régler le reste , c’est les riches contre les pauvres et pour ça , on aura besoin de tout le monde, on ne pourra pas mettre ceux, qui ne pensent pas comme nous à la poubelle …ça s’appelle la démocratie . je sais que je vais avoir des volées de bois vert ,je suis persuadée que les partis ne font que séparer les gens . Et si on changeait de système comme le propose Etienne Chouard, avec tirage au sort, mandats courts, des comptes à rendre, des garde-fous , des représentants, qui font ce que le peuple veut, etc.
    Le FN a fait moins de voix qu’ en 2012 .
    Je ne veux pas qu’ on compare les abstentionnistes à des nazis …ça devient complètement délirant . Je ne m’ appelle pas non plus eurosceptique : j’ aimerais simplement qu ‘on sorte de ce merdier qu’est l’ UE et la monnaie unique , qui est en train de faire crever les populations européennes . J’ai encore plein de choses à dire, mais je vais m’ arrêter là…je ne recommencerai plus . Je suis aussi désolée que vous tous pour les résultats sortis des urnes ,mais le nombre d’abstentionnistes devrait annuler ce vote , si on était en démocratie . Ne vous inquiétez pas , l’ UMP et le PS va continuer à utiliser le FN …font tous partie du même processus .Good night !

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  10. @auxi – il est évident que le PC a cassé la dynamique du FDG et qu’au point où nous en sommes autant continuer la route sans eux – ici dans le 18eme arrondissement sans eux nous avons fait 7,3% avec eux 8,3% autant dire qu’il est inutile de se prendre la tête pour 1%
    @turandot – Voter est sans doute inutile tout autant que de s’abstenir – qui sont les abstentionnistes ? – On ne sait pas – sont ils politisés ou pas ? et comment savoir ? en Slovaquie seuls 13% des gens ont votés – ça n’empêchera pas d’être pris en compte – quand plus personne ne participera à ce barnum les autorités utiliseront un sondage et l’affaire sera entendue – donc voter ou pas me parait aussi improductif

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  11. « On ne lâche rien »…Faut comprendre, il est tellement difficile de vivre avec « trois fois rien »!
    🙂

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  12. Tu as raison, faut chasser le blues. Dès « que les vents tourneront, nous repartiront » chantait Renaud, mais je préfère Victor Hugo dans les Misérables:  » Les institutions n’y sont plus, certes, le moulin n’y est plus, mais le vent souffle toujours ».
    Le vent de 89.

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  13. Les abstentionnistes tendent un miroir aux partis politiques de pouvoir dans lequel ils peuvent contempler leur véritable image:des cadavres ambulants.
    Pour les autres, FN mis à part, cela ne vaut guére mieux.
    Serait ce là le choc salutaire tant attendu pour une prise de conscience collective?

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  14. @Robert Spire oui mais si c’est pour brasser de l’air…
    @markhoss cadavres ambulants peut-être mais tant que ça tient ils s’accrochent admirablement bien – choc salutaire ???
    conscience collective ??? comme le 22 avril ??? m’ouais…

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  15. Oui ils s’accrochent, la vie politique se résume à une lutte de pouvoir dans le champs clos et désormais stérile de l’ultralibéralisme.
    Trente ans de dogmatisme aveugle ont laissé un champs de ruine et la crise a révélé l’ampleur du désastre.
    Meme les plus optimistes et les plus naifs en ont pris conscience et ont perdu leurs illusions c’est là la différence avec le 22 avril 2002.

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  16. Revenons aux fondamentaux: fédérer par la lutte des classes pour un contrôle démocratique de la production et des multiples échanges nécessaire à la vie.

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