L’idiome du village

L’homme dont on ne peut plus prononcer le nom
(appelons le « la chose ») sous risque de sanction de 100 euros, je le vois.

Je le vois, s’effacer derrière le mot, je le vois disparaître dans la chose.

« la chose » donc, je la vois, derrière l’arrestation de deux jeunes et dangereux terroristes basanés de 6 et 12 ans, armés, d’un tricycle piégé et embarqués au poste pour une de ces gardes à vue dont le nombre explose.

« la chose » je la vois aussi, derrière ces six policiers obéissant sans états d’âme, aux ordres hiérarchiques, qui me font mieux comprendre, comment des pandores consciencieux, pouvaient rafler tranquille des enfants juifs en 40, avant de retourner paisibles, border leurs propres gosses le soir à la veillée.

« la chose je la vois encore, derrière les commentaires pathétiques des « bons français » des « honnêtes citoyens » laudateurs du tout sécuritaire, justifiant le pire de la saloperie, et monstrueux dans la certitude hideuse de leur « normalité » sale.

«  la chose » je la vois toujours, derrière l’ arithmétique froide, du reporting débile, basant le rapport humain sur la statistique et l’objectif quantitatif, faisant de la relation sociale, un sinistre bilan comptable, un tableau excel motivé par les primes au rendement. 

Oui la chose je la vois avant de ne plus la voir.

Car l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom, celui, qu’on ne qualifie pas, qu’on identifie plus, qu’on ne peut même plus citer « casse toi pov’ c… » sans risquer le procès verbal, cet homme oui, qu’on prénomme tour à tour Chouchou, Naboléon, omniprésident, ou mr Bruni, cet homme aux mille surnoms gratifiés, s’interdit lui-même de patronyme.

Et le piège, par le jeu abusif et absurde de ses propres zélateurs, de se refermer sur l’abus de présence, l’excès de suffisance dans l’insuffisance, dans la surexposition banalisée, passant du stade de l’omniprésence, au stade intermédiaire de l’indifférence avant d’atteindre le stade fatal de la transparence :

L’homme dont on ne peut prononcer le nom et que l’on ne voit plus, tant on s’est habitué à ne plus voir que lui entre outrance et outrage, jusqu’à l’interdiction.

Et conscient de l’effet pervers, ses sbires, pas si cons, de tenter de désamorcer déjà : « Excès de zèle » par çi, « inadmissible » par là…à remettre de la mesure tenable dans la disproportion improductive, à réancrer de l’identifiable dans l’anonymat . Car le risque de ne plus dire son nom, c’est devoir se passer du martèlement obsédant de l’occurrence dans l’esprit conditionné. C’est devoir accepter le glissement progressif et sémantique du mot vers « la chose ».

De cette chose abstraite, indéfinissable, qui ne serait plus nommée. Le risque même du prénom impersonnel.

Un patronyme devenant dans le langage usuel et familier, du propre au commun, une insulte, un gros mot, une injure, un ustensile, un objet, une chose accessoire et triviale, voire une entité.

Comme ce monsieur Poubelle, ce monsieur Guillotin, ce Sir Sandwich, ce Besson de la « bessonade » : traîtrise

Jusqu’à cette question terrible dans sa stérilité ;

De quoi donc est le nom de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom ?

Car alors, le nom de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom, peut-il être transmis en gage d’hérédité, d’héritage politique et filial, au fils de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom, sans que ce nom devienne en insulte suprême au quotidien dans l’idiome du village

Jean, fils de…,enfant de S…selon que tu seras  tricycle ou bien scooter ?

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

17 commentaires sur « L’idiome du village »

  1. « comment des pandores consciencieux, pouvaient rafler tranquille des enfants juifs en 40 »
    Difficile de ne pas marquer de point Godwin, par les temps qui courent…

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  2. oui difficile même si les conséquences ne sont évidemment pas les mêmes, la mécanique, les flics qui obéissent, la majorité silencieuse qui cautionne voire qui revendique, est exactement la même. Je commence à comprendre ce que la France à de fondamentalement pétainiste en elle.

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  3. « Je commence à comprendre ce que la France à de fondamentalement pétainiste en elle. »
    Pas d’accord. Une partie de la population et du système, oui.
    C’est en Allemagne, en Autriche, pays considérés comme les plus civilisés du monde dans les années 30-40 ou on est allé le plus loin dans le barbarisme non assumé. Ainsi que les pays que l’on nomme de l’est. La « France » est loin derrière ( en ce qui concerne les juifs, enfants ou pas. Pour d’autres humains, la France était en première ligne ).
    Cela commence à bien faire cette culpabilisation intégrale auto-française par rapport à une partie de l’humanité.

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  4. mais Henri nous avons effectivement échappé au fascisme et je crois que nous n’avons pas cette fibre là, nous avons en revanche cette spécificité particulière du pétainisme de la dénonciation et du devoir accompli consciencieux dans la saloperie administrative. maintenant je suis bien placé pour savoir que ce n’est pas toute la France mes grands parents étant « des justes » .

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  5. « Un patronyme devenant dans le langage usuel et familier, du propre au commun, une insulte, un gros mot, une injure, un ustensile, un objet, une chose accessoire et triviale, voire une entité. »
    Il s’agit, soyons pédant, d’une antonomase.
    Comme aurait dit (approximativement) Lacan : « Il me « hantemonnaze » » . Ce qui en dit long sur les obsessions de celui-dont-on-ne-peut-plus-citer-le nom.

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  6.  » antonomase  » merci Jules je viens d’apprendre un mot nouveau – figure de style que je ne connaissais pas

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  7. La chose a nombre de détracteurs est (a été) brocardé comme rarement voire assailli de mails de menaces de toutes parts, au fait que sont devenues les mystérieuses balles sous enveloppes ?
    Il exacerbe. Voilà pour conclure, à la manière de WC Bush à qui il s’est tellement référé et qu’il admirait tant. Il restera le plus conchié (en deux mots, ça marche bien aussi).

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  8. « au fait que sont devenues les mystérieuses balles sous enveloppes ?  »
    Très bonne question. Elles ont disparu, du jour au lendemain. Bang ! C’est vrai que c’est étrange.
    « De quoi donc est le nom de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom ? »
    Argghhh… J’ai failli en fondre quelques neurones…

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  9. « De quoi donc est le nom de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom ? »
    sujet du bac 2009 et je ramasse les copies dans deux heures

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  10. « De quoi donc est le nom de l’homme dont on ne peut plus prononcer le nom ? »
    Une interjection peut suffire comme réponse, m’sieur ?
    Alors voilà :
    « Badiou de Badiou ».

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  11.  » … pour une de ces gardes à vue dont le nombre explose.  »
    Oui , exemple de conséquence ‘ dramatique ‘ de la politique du chiffre de la chose : une amie a passé 12H en garde à vue , isolée , dénudée , menottée , dont une partie de nuit dans les geôles ( mot employé par les flics eux-mêmes ) de Bobigny, dont les murs sont couverts de merde , tout ça pour 0,52 g d’ alcool au volant , sans accident , sans rébellion , sans raison … autre que celle reconnue par le commissaire de ‘ quotas ‘ de gardes à vue ‘ imposés par sa hiérarchie …
    Un traumatisme inutile , injustifié , injustifiable que cette vilaine ‘ délinquante ‘ n’ est , certes , pas prête d’ oublier ( le Klang Klang des geôles elle connait ( la chose qui dort dans ses draps Bling Bling pas (encore ))

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  12. il paraît que quand on traumatise à vie une personne fragile ça vaut vingt ans de prison. Quand est-ce qu’on va envoyer tous ces f**** , pardon ces « agents de l’ordre », en prison pour vingt ans ?

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