Arthur et Marius

Lazare Ponticelli, le dernier poilu français de la guerre de 14-18, cet italien d’origine au destin peu banal et qui connut trois siècles pas moins, est mort.  A l’age de 110 ans.

C’est donc le dernier témoin de cette immonde boucherie qui vient de disparaître. La dernière mémoire du carnage absurde, des frères de merde, de boue et de sang tombés au combat, des gamins éventrés entre les barbelés au milieu du no man’s land crépusculaire.

Arthur et Marius, mes deux grands pères auraient pu le croiser, au chemin des dames, à Douaumont ou ailleurs. Tous deux comme Lazare ne s’en tirèrent pas si mal.

En gros, il évitèrent d’orner de leurs patronymes, les monuments aux morts de leur village natal. Une performance en soi.

Dans cette guerre pour rien, aux millions de morts européens, Arthur mon grand père paternel y laissa ses poumons, Marius mon grand père maternel sa jambe gauche.

J’ai toujours vu Arthur, mort au début des années 80, un grand mouchoir à carreaux à la main. Mouchant crachant sa morve, séquelle presque bénigne dans le contexte monstrueux finalement de la der des ders, de gazages divers et expérimentaux.

La guerre sert aussi à ça.

J’ai toujours vu Marius, mort au début des années 60, que je connus à peine, avec sa jambe de bois cauchemardesque au harnachement rudimentaire, bien loin des prothèses orthopédiques d’aujourd’hui..
Sa jambe, il l’avait laissée dans un trou d’obus où il croupît des heures, bouffé par la gangrène..

Au moins Arthur et Marius eurent droit à leur vie après. J’en suis la preuve. Ce ne fut pas le cas du frère cadet de ma grand-mère maternelle qui partit un jour, et pour la première fois de sa jeune vie, de la ferme familiale pour ne jamais revenir.

Verdun : Ce fut le dernier voyage d’Andréa ma grand-mère, morte quasi centenaire. Chercher le nom de son petit frère, au milieu des ossuaires, sur les listes interminables des nécropoles, chercher le corps de ce petit frère au visage figé à 18 ans comme en arrêt sur image et à jamais porté disparu.

Comme si 80 ans après, la simple présence d’Andréa à arpenter les champs de bataille muséifiés, les tranchées comblées d’où seules pointent encore les baïonnettes des enterrés vivants et entretenant encore l’illusion de revoir son frangin, pouvait réincarner le corps de son cadet volatilisé.

C’est toute la mémoire vivante, de toute cette immense saignée d’une génération entière, de tous ces fils de la campagne, qu’ils furent allemands, français, belges ou sénégalais, qui vient de s’éteindre avec Lazare.

Tous ces jeunes gens, ennemis artificiels, sacrifiés officiellement au nom de la patrie mais surtout officieusement au nom d’intérêts économiques les dépassant et amis fraternels dans la douleur, l’angoisse, le froid, la charogne et la mort.

Tous ces enfants du 20éme siècle ayant plus de points communs entre eux jusqu’à la fraternisation ou la mutinerie, qu’avec leur propre hiérarchie, jouant aux petits soldats, les envoyant par milliers crever en enfer pour un galon de plus, vérifier une stratégie débile ou jouir de leur droit pervers de vie et de mort.

La guerre, une lutte de classe en fait, moyen politique radical de régler les problèmes sociaux tout en faisant pour une élite, du fric avec.

Rien n’a changé. Les marchands de canon du complexe militaro-industriel et autre, les Wandel-Seillière ici, les Halliburton ailleurs sont toujours là, à spéculer toujours sur le cadavre des plus pauvres.
 
Avant que le récupérateur élyséen de cadavres tout frais, expert en victimes triées et choisies, l’ami des prédateurs et autres spéculateurs mortifères offre en grandes pompes nationales un grand moment d’émotion pipole merdique et sondagier à Lazare, celui qui refusait les honneurs et qui finit par donner son accord à des obsèques nationales « au nom de tous ceux qui sont morts » :

La chanson anonyme de Craonne, l’hymne des mutinés longtemps interdite par les autorités, en hommage à Arthur, Marius, le petit frère d’Andréa et pour les millions d’autres soldats inconnus, qu’on obligea à s’entre mutiler, s’entre-massacrer, s’entre-exterminer pour des prunes.

La guerre ? le meurtre des fils par d’abominables vieillards

Michel Serres

tgb

Et bientôt la commémoration par nos anciens combattants dernière génération des 40 ans de mai 68. Kouchner amènera le sparadrap… .waouhhhhhh !!!!!! à ne pas manquer surtout. 

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

13 commentaires sur « Arthur et Marius »

  1. Bel hommage à tous nos grands parents (je n’ai pas connu mon papy de 14-18, alors j’en ai « adopté »…)
    Le billet que j’ai commis se termine aussi sur un rappel de la chanson de Craonne…Je vois que vous non plus ne l’oubliez pas.

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  2. Beau texte.
    Mais avec une erreur due au « cocardisme » des medias français :
    Lazare Ponticelli est le dernier combattant français de la guerre de 14. Il en reste encore 8 : trois anglais, deux italiens, un américai, un austrohongrois (?) et un turc ! Le dernier allemand est mort le 1er janvier 2008, à l’âge de 107 ans.
    voir :
    http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/03/13/01001-20080313ARTFIG00122-huit-veterans-encore-en-vie-dans-le-monde.php
    J’interprète quant à moi la mort de Lazare Ponticelli comme dernier combattant FRANÇAIS, lui le « rital », comme un gros mollard dans la gueule d’Hortefeux et de ses thuriféraires.
    J’espère qu’Hortefeux n’assistera pas aux obsèques nationales du « rital ». Mais bon, on sait depuis longtemps qu’on les reconnait à ce qu’ils osent tout!
    Zgur

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  3. hé zgur c’est pas pour me vanter mais c’est marqué en haut au début
    – dernier poilu français – mais c’est vrai ensuite je l’oublie un peu
    pour le reste je partage corrobore et co-signe ta saine colère
    merci pour le lien

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  4. Merci pour cet hommage.
    Je tremble à l’idée de ce que va faire NS :
    « 11 h 00
    Obsèques de M. Lazare PONTICELLI, dernier poilu en l’Eglise des Soldats – Cathédrale Saint Louis des Invalides
    Honneurs militaires rendus dans la cour d’Honneur de l’Hôtel National des Invalides
    « Hommage national aux poilus »
    15 h 30
    Inauguration de la plaque commémorative en hommage aux combattants de la Première guerre mondiale – Hôtel National des Invalides
    Discours du Président de la République »
    http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=view&lang=fr&cat_id=5&press_id=1164
    (Rien à voir… Il va recevoir John McCain ce doux pacifiste, en fin de semaine prochaine.)

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  5. merci françoise pour le merci et le programme ça promet en effet
    mc cain a au moins connu la guerre et la torture, lui, en général les anciens combattants savent son coût en douleurs et souffrances ils ne la prennent pas à la légère c’est toujours les planqués à la cheney rumsfeld ou bush qui envoient avec bcp d’enthousiasme les autres à la mort c’est leur héroisme à eux l’héroisme des minables et des salauds

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  6. ben tiens, Henri on sait qui possède presse et média dassault lagardere boum boum
    faut faire monter la haine et l’esprit patriotique pour écouler les stocks…
    beau texte de karl Kraus en effet

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  7. « mc cain a au moins connu la guerre et la torture »
    Oui, mais cela ne l’empêche pas d’être pour la guerre. Il a chanté allègrement « Bomb bomb Iran »… Cela ne doit pas trop le déranger maintenant d’y envoyer les autres.

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  8. comme quoi la légion d’honneur n’est pas forcément un signe de respect (mais on s’en doutait déjà)
    merci zgur connaissais pas ce type
    belle illustration du sympathique binôme armement et presse

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  9. tgb ( à quoi peut bien correspondre ces initiales ? ), tu as en toi quelque chose de Tennessee…de Kraus justement ! L’ironie, l’humour et du talent.
    Je trouve que c’est dommage que « les derniers jours de l’humanité » de 1919 ne soit pas étudié systématiquement par toutes personnes qui s’intéresse à la première guerre mondiale et ce qui a suivie. Ce bouquin rend crédible le travail de l’historienne Annie Lacroix-Riz.
    http://www.historiographie.info/menu.html
    Cette histoire répugnante qui commence à faire surface est de la gnognote par rapport à ce que raconte Kraus de 1914 à 1933.

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  10. c’est tout simplement mes initiales -voir à propos
    je connais trés peu Karl Kraus (et c’est un euphémisme)
    l’occasion de mieux le découvrir

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  11. Pour apporter de l’eau au moulin :
    Anatole France
    « on croit mourir pour la patrie, et on meurt pour des industriels ».

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