I will survive

Il y a quelque chose de symptomatique à voir des centaines de milliers de gens descendre dans la rue pour hurler « allez les bleus, les roses ou les verts pistaches » gueuler Zizou ou Chabal président, et ne voir qu’une centaine de personnes manifester avec lassitude contre l’expulsion d’étrangers, la casse du contrat social, ou les délits d’initiés d’EADS par exemple.

Qu’une énorme partie de la population soit dépolitisée, acculturée, ignorante de son histoire, de l’histoire même de leurs parents est acquise, mais qu’elle soit abrutie à ce point, d’une certaine manière, force le respect. (beau travail Le Lay, bien programmé ce temps de cerveau disponible).

En termes de manipulation de masse, on connaît maintenant la technique disséquée avec brio par Noam Chomsky : abrutir 80 pour cent de la population, manipuler les 20 pour cent de décideurs restant.

Savoir que le peinturluré lambda de ce grand carnaval à deux balles, agiteur forcené de drapeau, peut et sans se tromper vous réciter le nom des joueurs, les clubs, les postes, le montant des transferts, les coachs, les soigneurs, toute une sous-culture impressionnante et vaine …et qu’il est en revanche incapable de vous dire qui présidait la France en 1974, ce que sont les accords de Grenelle ou quels pays composent la communauté européenne, est, d’un certain point de vue, fascinant.

Nous sommes entrés dans l’ère du divertissement totalitaire, l’ère de la culture de l’insignifiant, du soft fascisme ludique et séducteur, d’autant plus pervers que l’individu loin de le dénoncer y consent avec une volupté, un enthousiasme de crétin grégaire et lobotomisé auquel on ne demande aucun effort surtout.

Cette société du spectacle que nous annonçait visionnaire et rigolard Guy Debord.

Quand l’aliéné revendique sa propre aliénation, quand le fliqué tire fierté d’être devenu son propre flic, inutile de réprimer, nul besoin de sévir. L’homme est devenu enfin son propre loup et la boucle est bouclée.

(lu un courrier sur le site du quotidien ‘ l’équipe ‘ ou un lecteur traitait un autre lecteur, trop critique à son goût, « d’intello, sale lecteur de Baudelaire »)

Quand avoir deux sous de culture devient insultant, quand arborer son inculture devient légitime, il y a comme un renversement de valeurs assez éloquent.
 
Pizza, poker et neuroleptiques :
Le nouveau Panem et circences de notre glorieuse civilisation supérieure.
 
A voir ces abrutis aux peintures vaguement guerrières dans des déguisements puérils et régressifs saluer dans un orgasme simiesque leurs voisins de palier sur l’écran géant du stade – leur quart d’heure de célébrité mondiale – on se dit que ce grand défouloir mercantile, cette pseudo catharsis obscène, que ce simulacre de liesse hystérique et populiste, tient plus de la partouze à Neuneu que d’une célébration joyeuse et sportive.

Quand au son rituel des banderas, au chant lancinant des cornemuses, aux chœurs magiques interprétant avec ferveur « Swing Low, Sweet Chariot » ou « Land of my Fathers » on substitue le piteux slogan « on va gagner »  ou une pauvre marseillaise beuglée et désincarnée on constate le glissement scabreux du sacré au vulgaire.

Si lors du mondial de foot 98, il se passa réellement quelque chose d’intense dans les rues de France, comme une délivrance, comme le mélange heureux d’une population ivre d’une joie enfin, comme la liesse inventée et spontanée d’une fusion black blanc beur qui ne dura que deux jours mais qui au moins exista, aujourd’hui on constate combien tout cela est recyclé, capitalisé, exploité, marchandisé (femmes des joueurs, kit du petit supporter en tête de gondole, pipolisation des tribunes…) et que ce soit TF1 qui en soit le maître d’oeuvre industriel et médiatique en dit long sur les véritables motivations des promoteurs/exploiteurs.

Propagande et marketing, les deux mamelles du néo-pouvoir.

Enfin, je me souviens de l’initiative, à priori pertinente, de Canal Plus en juillet 98 qui avait demandé à ses abonnés de faire parvenir les vidéos réalisées au soir de la victoire pour en faire un montage.

Après avoir visionné dix minutes d’élucubrations excitées sur le toit de voitures au son des klaxons, cinq plongeons collectifs dans des piscines de lotissement et trois chenilles de beaufs bourrés en slip et marcel, de « Glorias Gaynors » ménopausées s’époumonant sur « I will Survive » j’en avais conclu en éteignant mon poste que finalement la joie de la victoire (par procuration et compensation) n’avait rien à dire.

Car finalement ce qu’il reste de concret après la célébration d’une pseudo-gloire éphèmère, d’une techno parade vachement festive, d’une nuit blanche d’art de masse balisée, c’est  à l’image d’un Barthez embrassant un Mac-do, quelque chose comme ça :

tgb

Publié par rueaffre2

TG.Bertin - formation de philo - consultant en com - chargé de cours à Paris 4 - Sorbonne - Auteur Dilettante, électron libre et mauvais esprit.

10 commentaires sur « I will survive »

  1. Bien vu, bien dit tgb, et… l’on a peur qu’un jour cette foule crie « B.B,B.B,B.B… ».
    Quelle coincidence! samedi Paris fêtait l’art (la nuit blanche) et une victoire sportive
    2 en 1 , faciles à mixer ces 2 là, quand ils sont dilués au merchandising.

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  2. Rien de nouveau sous le soleil…
    […] [populus Romanus] qui dabat olim imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se continet atque duas tantum res anxius optat : Panem et circenses.
    ([…] [le peuple romain] qui distribuait autrefois
    pleins pouvoirs, faisceaux, légions, tout, maintenant
    se replie sur lui-même et ne s’inquiète plus que pour les deux choses qu’il souhaite : Du pain et des jeux.
     — Juvénal, extrait des « Satires »(composées entre 90 et 127).
    « Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images brillantes. »
    « Mais ils ne font guère mieux ceux [les tyrans] d’aujourd’hui qui, avant de commettre leurs crimes les plus graves, les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On connaît la formule dont ils font si finement usage ; mais peut-on. parler de finesse là où il y a tant d’impudence ? »
     — Étienne de La Boétie, extraits de « Le Discours de la servitude volontaire » (1576) .

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  3. L’article débute bien et il y a beaucoup de vrai dans ce que vous écrivez, mais je trouve dommage de tomber dans la caricature…ou la généralité.
    Il n’y a pas d’un coté les fiers et valeureux Anglais qui chantent « Swing low, Sweet chariot » et de l’autre 16 Millions de beaufs qui buglent « La Marseillaise » … c’est TRES MAL connaitre le supporter Britannique !

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  4. c’est juste pour le supporter anglais qui peut être largement aussi abruti qu’un supporter français et je ne les comparais d’ailleurs pas (je parlais d’ailleurs des banderas qui elles font parties intégrale de la culture rugbystique) je déplore simplement la pauvreté de nos chants tant au foot qu’au rugby
    qui ne saute pas n’est pas français
    allez les bleus…
    et la marseillaise toutes les cinq minutes
    me semble assez court et creux

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  5. D’accord avec toi.
    Mais que le meilleur (sur le terrain) gagne, quand même ;0)
    « je déplore simplement la pauvreté de nos chants tant au foot qu’au rugby »
    Je propose « Voici venir les barbapapas  » en hommage à Chabal!
    Arf!
    Zgur

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  6. Ils sont malins , ils mélangent tout , la politique , le foot , les nanas ..JJSS …comme disait Guy Bedos il y a déjà 30 ans dans son sketch « elles sont belles ces nanas  » en parlant des journalistes du journal « Lui » de l’époque.
    Rien n’a changé , on continue de nous gaver , de tout mélanger et le peuple est encouragé dans sa quête d’une communauté identitaire sportive nationale pour lui faire oublier tout le reste et surtout ses divisions , on le préfère devant sa télé à téter sa bière en hurlant à la moindre passe de ballon rond ou ovale plutôt que de le voir brandir des banderolles dans la rue.
    Il y a un grand écran en ce moment devant la mairie de Paris pour le rugby , j’ai noté qu’il y a autant de flics enferraillés que de supporters , le parvis de l’hotel de ville me fait penser …..à une cour de prison .
    « Vous pouvez éteindre votre télé et reprendre une vie normale » guignols canal+

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